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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/912

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mouvement d’où naissent les beaux dividendes, avec cette fascination qui, à certaines époques, ramène les hommes distingués dans un endroit où ils trouvent de quoi alimenter leur esprit, leur cœur, même leurs vices. Et en vérité, lorsque les femmes applaudissaient Nourrit, Duprez, Levasseur, Baroilhet, Roger, Faure, Mmes Falcon, Damoreau, Stolz, Krauss, Nilsson, etc., elles donnaient, pour leur part, le plus élégant démenti à cet humoriste qui prétend que les Françaises vont au théâtre pour être vues, pour voir et un peu pour entendre. Il n’existe pas de foyer spécial réservé aux chanteurs et chanteuses de l’Opéra[1], ceux-ci reçoivent presque toujours dans leurs loges, mais ils daignent descendre au foyer de la danse avant d’entrer en scène, ou bien entre deux actes, quand il ne leur convient pas de remonter chez eux. Cette salle du foyer, très haute, très nue, ornée de médaillons qui représentent Gardel, Noverre, les dieux et les déesses de la chorégraphie, n’a rien d’un sérail, comme se l’imaginent volontiers les profanes et les partisans de certain préjugé d’après lequel la danse est la procession du diable, et chaque pas fait pour danser un saut vers le trou d’enfer. Il apparaît, ou il apparaissait avant 1870, comme un salon d’un genre spécial, où les abonnés viennent causer avec les ballerines entre deux actes, où celles-ci font marcher en même temps leurs jambes et leurs langues, où des petits pieds pétillans d’esprit disent de fort jolies choses. Pourquoi non ? N’a-t-on pas inventé la podomancie, l’art de dire la bonne aventure d’après les lignes et la forme du pied ? Et les professeurs de danse ne donnent-ils pas leurs leçons avec la main ? Une véritable artiste ne doit-elle pas savoir marcher ses variations aussi bien avec ses mains qu’avec ses pieds ? Donc la danseuse a deux langages ; mais la langue des jambes ne s’adresse qu’aux initiés, langue mystérieuse et charmante qui parfois contredit l’autre, hiéroglyphes aimables sur lesquels les Champollion, les Maspéro de l’orchestre ont dû se tromper souvent : le pied dit oui, les lèvres disent non, les yeux ne disent ni oui ni non.

Mais on y flirte, dira-t-on, à ce foyer de la danse ? Mon Dieu, oui, on y flirte, pas beaucoup plus que dans les salons mondains, rarement pour le bon motif, il est vrai ; mais n’en

  1. L’Opéra, au temps de Véron, avait un foyer de chant, où les artistes et choristes commençaient, achevaient les études des partitions d’opéra.