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s’accordaient à le mettre infiniment au-dessus de tous ses confrères ? Depuis la mort de son maître Michel-Ange, surtout, en janvier 1564, le peintre-architecte d’Arezzo a exercé dans l’art italien une véritable royauté, universellement honoré comme le seul héritier de la gloire et du génie du célèbre défunt. Tous les ans, son patron officiel, le grand-duc de Toscane, était forcé de le « prêter » à Sa Sainteté romaine ; et sans cesse lui arrivaient d’Espagne, de France, de toutes les autres cours de l’Europe, des invitations dont ses lettres nous le montrent, à la fois, honoré et gêné. À peine avait-il achevé la construction d’un palais ou l’exécution d’une série de peintures, qu’aussitôt les principaux poètes d’alors rivalisaient en sonnets délicats ou en longues odes à la louange du chef-d’œuvre nouveau issu de son génie.


Que l’on imagine l’excellent petit homme, tout simple et modeste qu’il était de nature, recevant sur son front cette abondante et continuelle avalanche de lauriers ! Longtemps il résiste à la tentation de se croire un dieu. Profitant de la chance inespérée qui lui arrive, comme s’il s’attendait à la voir bientôt se détourner de lui, il s’empresse d’agrandir et d’orner sa maison d’Arezzo, de « caser » ses neveux et de doter ses nièces, de se faire accorder des fermes ou des bois dont il transmet sur-le-champ la gestion à des membres de sa famille. Mais la chance persiste, s’accroît d’année en année. Vasari a beau improviser en quelques jours la décoration d’une salle immense, et en s’y aidant de la plus nombreuse équipe d’assistans qu’en aucun temps, probablement, un peintre ait entretenue à son service : les fresques découvertes, voilà que tout le monde se reprend à l’acclamer, à lui attester que jamais, suivant l’expression d’un poète du temps, « Buonarroti n’a su faire preuve d’une telle maîtrise ! » Comment l’ « immortel Georges » trouverait-il la force de ne pas se laisser convaincre, en présence d’un enthousiasme aussi unanime et aussi obstiné ?

Tout au plus devinons-nous, par ses lettres, que sa modestie naturelle le conduit à ne reconnaître pour parfaite et « divine » que la dernière œuvre qu’il vient d’exécuter. « Cette fois, j’ai vraiment réussi, et je sens que vous aurez lieu d’être satisfait ! » À mainte reprise nous l’entendons s’épancher ainsi devant son vénérable conseiller et confident le prieur Borghini. Après quoi, cette satisfaction accordée à la conscience secrète qu’il conserve de l’imperfection de son art, le maître glorieux ne songe plus qu’à se vanter