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d’homme de lettres, c’est chose bien sûre que Georges Vasarî mérite pleinement d’être célébré avec un éclat merveilleux, ainsi qu’il vient de-l’être, ces jours derniers, à la fois par ses concitoyens d’Arezzo et par l’élite entière du public italien : car peu d’œuvres, entre celles que nous ont léguées les écrivains de son pays, nous sont restées aussi étonnamment vivantes que la sienne. Mais c’est de quoi lui-même n’aurait pas été moins surpris, s’il avait pu le prévoir, que ces Annibal Caro, ces Molza, et ces Tolomei dont nous savons qu’ils avaient pour son talent littéraire autant d’affectueux mépris que d’admiration enthousiaste pour son génie d’architecte et de peintre. Non pas en vérité que leur ami, au secret de son cœur, ait partagé leur opinion sur la valeur de son livre ; la manière dont il n’a point cessé de l’enrichir et de le remanier, presque sa vie durant, nous montre assez qu’il n’était pas sans lui attribuer une certaine importance : mais tout le prix qu’il y attachait n’était rien en comparaison de l’orgueil que lui inspiraient ses chefs-d’œuvre professionnels, la construction du Palais des Offices, la décoration des grandes salles du Palais Vieux, ou encore son projet de fresques pour la coupole du Dôme de Florence. Et le fait est qu’il y a pour nous, à notre tour, quelque chose d’étrange dans la manière dont le cours des âges a renversé les jugemens de Vasari et de tout son siècle sur la portée respective de son œuvre d’artiste et du livre écrit par lui « en façon de passe-temps. »

Car d’autres peintres se sont trouvés, depuis le vieux Cennino Cennini jusqu’à Eugène Fromentin, que l’occasion ou leur instinct natif ont portés à s’essayer dans la littérature : mais chacun d’eux a, en somme, gardé la place qu’il occupait dans l’art de son époque, et jamais cette place, pour honorable qu’elle fût, n’a dépassé un rang secondaire. Que si quelques-uns d’entre eux, comme on a pu le croire, s’étaient d’abord trompés sur leur vocation, du moins n’ont-ils pas réussi à tromper leurs contemporains sur la valeur esthétique d’une œuvre où ne s’était point déployé librement leur génie. On sait avec quelle délicate et touchante modestie Fromentin lui-même, malgré tout le charme de son talent d’orientaliste, ne s’est point fait faute de reconnaître l’éminente supériorité professionnelle de la peinture d’un Corot ou d’un Théodore Rousseau. Mais comment l’illustre Vasari aurait-il été en état d’admettre l’infériorité de son œuvre d’artiste en face de celles d’un Bronzino ou d’un Zucchero, voire d’un Titien ou d’un Véronèse, lorsque princes et connaisseurs, et la foule avec eux,