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Pas un moment celui-ci ne s’arrête d’imaginer la personne et les œuvres des divers artistes dont il nous entretient : tantôt se les représentant en chair et en os, sauf pour lui à leur prêter des traits purement inventés, et tantôt s’échauffant au souvenir d’un de leurs tableaux ou d’un bas-relief, et négligeant d’observer le vrai sujet qui s’y trouve traité.

Une richesse inépuisable d’imagination créatrice et un don singulier de créer de la vie, à ces deux qualités le livre de Vasari est surtout redevable de l’attrait que, d’âge en âge, il exerce sur nous. Je déplorais, tout à l’heure, l’espèce d’envoûtement qui, depuis la fin du XVIe siècle, avait contraint les générations à admettre la thèse fantaisiste du biographie arétin sur la suprématie artistique de l’art de Florence : mais comment expliquer un tel phénomène sinon par le charme irrésistible avec lequel Vasari a dressé devant nous les figures, plus ou moins authentiques, de chacun des maîtres qu’il a étudiés ? Tandis que d’autres biographes, à Venise ou à Sienne, ne parvenaient à faire pour nous, des grands artistes de leurs villes, rien autre que des ombres lointaines et fugitives, un hasard admirable voulait que les figures des maîtres florentins nous fussent décrites par un magnifique conteur et peintre littéraire, un digne émule des Boccace et des Sacchetti, ou plutôt un écrivain que son inexpérience technique de la littérature n’empêchait pas d’être supérieur à ces deux maîtres même dans l’art de ressusciter et d’animer à jamais chacun des personnages qu’il nous présentait. « Je veux, mon Giorgio, que vous preniez vous-même la peine de développer tout cela suivant une manière dont je vois que vous saurez tirer un parti excellent, » disait autrefois à Vasari son savant ami Paul Jove. Oui, c’est dans la « manière » inventée et pratiquée par l’illustre biographe que réside, par-dessus tout, le secret de l’immortelle beauté de son livre ; et bien plus encore que les peintres, architectes, et critiques d’art italiens, il convient que tous les hommes de lettres d’au-delà des Alpes s’unissent aujourd’hui pour fêter le quatrième centenaire de la naissance de l’un des plus authentiques entre les grands écrivains de leur patrie.


T. DE WYZEWA.