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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/958

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sont en jeu, comme si elle ne comptait pas dans le concert des nations, alors, je le dis avec force, la paix, à ce prix, serait une humiliation intolérable à endurer pour une grande nation comme la nôtre. »

C’est la première fois depuis longtemps que de pareilles paroles frappaient des oreilles allemandes. L’Allemagne aime fort à poser devant les autres l’hypothèse de la guerre, mais elle n’aime pas que les autres la posent devant elle et elle en était déshabituée. Qui se serait attendu à ce que cette tradition fût rompue par M. Lloyd George ? On voit que, lorsque les pacifistes s’y mettent, ils sont aussi guerriers que les autres, et cette constatation est rassurante. Les journaux allemands se sont appliqués à diminuer l’importance du discours, mais ils ont bientôt senti l’inutilité et la puérilité de cette tactique et, devant les applaudissemens de toute l’Angleterre, il a fallu qu’ils se rendissent à l’évidence. En fait ils ne revenaient pas de leur étonnement ; ils ne reconnaissaient plus l’Angleterre dont ils s’étaient forgé une image chimérique ; ils ne reconnaissaient plus M. Lloyd George, qu’ils croyaient en quelque sorte enseveli dans les détails scabreux de la politique intérieure ; enfin ils en appelaient du gouvernement anglais au gouvernement anglais lui-même, de M. Lloyd George à M. Asquith, annonçant que celui-ci prononcerait bientôt un discours qui dissiperait les malentendus et remettrait toutes choses au point. Quel que pût être ce discours, il semblait dès ce moment certain que les journaux allemands l’opposeraient à celui de M. Lloyd George et s’en déclareraient satisfaits. Ils n’ont point manqué de le faire, et cela est fort heureux, car, au point où la surexcitation des esprits était venue, tout pouvait arriver, même le pire, et, bien que personne ne voulût la guerre, ni en Angleterre, ni en France, ni en Allemagne, les fautes commises de part et d’autre risquaient de la déclancher comme une conséquence fatale. Il y a encore là une leçon à recueillir : si la guerre éclate un jour, ce sera sans doute par quelque surprise de ce genre ; on la subira sans l’avoir voulue. Au moment le plus aigu de la crise, nous avons toujours espéré que les bonnes volontés qu’on sentait partout agissantes seraient finalement les plus fortes et nous sauveraient de la guerre une fois encore ; mais jamais peut-être nous n’en avons été plus près, et peut-être aussi la France n’est-elle pas le pays où on en aurait le plus difficilement pris son parti.

Le discours de M. Asquith a répondu à l’attente universelle : il nous a été rarement donné l’occasion d’entendre une parole plus