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les formidables et truculentes invectives des Blasphèmes, Virgile, Horace même, seraient certes effarouchés, mais Lucain et Juvénal y reconnaîtraient sans peine l’application exagérée de leurs procédés d’amplification oratoire. D’autre part, dans ce même recueil des Blasphèmes, comment oublier que les plus beaux vers sont encore des traductions de Lucrèce ? c’est la définition du changement universel :


Chaque chose paraît quand elle (la Nature) forme un être
Et s’en va quand le sort de l’être est résolu.
Mais tout naît pour mourir et tout meurt pour renaître.
Rien de ce qui devient ne devient absolu.


ou, ailleurs, la lamentation sur le sort misérable de l’homme naissant :


Bleui, couvert de sang et d’ordure, il arrive
Comme un marin noyé rejeté sur la rive.
Où sont donc tes bontés pour lui dans ce moment ?
Aussi, son premier cri, c’est un vagissement
Lugubre, comme si dans les choses futures
Il voyait ce qu’il doit endurer de tortures.


Dans les passages les plus graves, comme dans les plus violens, la rhétorique poétique de M. Richepin se ressent toujours de son origine latine. Il doit donc beaucoup à l’antique Rome, et il a essayé de lui payer sa dette en nous en restituant quelques coins fort curieux, non pas dans de courts poèmes à la façon de Leconte de Lisle et de Heredia, mais dans son drame de La Martyre et dans ses Latineries en prose. Que vaut, ici et là, l’image qu’il nous en offre ?

La couleur proprement romaine, au début de La Martyre, est à la fois assez exacte et assez piquante. Certains vers sonnent d’une façon vraiment latine aux oreilles des humanistes, comme ceux où le vieux philosophe Zythophanès félicite le poète Glaucus de savoir si bien


Croiser le lourd spondée et l’allègre dactyle,


et exprime son désir de pouvoir, sans souffler un mot,


Ouïr des balatrons et voir des funambules,


ou bien comme celui du cuisinier Bdella présentant son nouveau gâteau :


Artologanus triple à la pulpe de zomphe.