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qui nous permettent de nous représenter très positivement les plus petites choses de leur existence, ses personnages risqueraient d’être de vagues abstractions conventionnelles, un peu comme le « Romain en soi » dont on a tant disserté au XVIIe siècle et au XVIIIe. Réciproquement, si ces indications précises de costume, de mobilier, d’institutions, de mœurs, n’étaient pas vivifiées par une intention de peinture psychologique et profondément humaine, elles dégénéreraient vite en une froide érudition, amusante pour les seuls spécialistes, dépourvue de toute vaste portée. Entre ces deux dangers, Heredia se tient très fermement à égale distance. Ne sacrifiant ni la couleur locale ni la vérité morale, il concilie, par le plus parfait équilibre, l’interprétation classique et l’interprétation réaliste de l’antiquité romaine.


IV

Un tel équilibre n’est pas très facile à garder, et l’on peut se demander si tel des émules de Heredia, M. Richepin par exemple, a toujours réussi à s’y maintenir. M. Richepin est certainement parmi les poètes de la fin du XIXe siècle, un de ceux qui connaissent le mieux les hommes, les choses et les œuvres de la vieille Rome. Sa solide éducation de très bon élève et de très brillant normalien, fort en thème, en discours et en vers latins, a survécu à ses révoltes de « gueux » et de « Touranien, » à ses aventures de romanichel, et à toutes les crises intellectuelles, esthétiques, morales et sentimentales par lesquelles il est passé. Beaucoup plus encore que Leconte de Lisle ou Heredia, il a reçu de l’antiquité latine sa forme d’art personnelle, avec toutes ses qualités, ses excès et ses lacunes. « Il est, écrivait M. Jules Lemaître il y a une quinzaine d’années, le plus latin de nos poètes français. Nul n’est plus nourri du lait fort de la Louve. Il a, du latin, la ferme syntaxe, la précision un peu dure, la couleur en rehauts, la sonorité pleine et rude ; jamais de vague ni de demi-teintes. » Rien n’est plus vrai, et l’on pourrait ajouter que les caractères les plus romantiques en apparence de M. Richepin, la surabondance du développement, la brutalité des images, l’outrance des hyperboles, lui viennent peut-être autant des poètes latins, — de certains poètes latins du moins, — que de Victor Hugo lui-même. Devant