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dans sa prédication rigoriste, dans l’intransigeance de sa doctrine, l’âpreté de ses reproches et la férocité de ses imprécations, reproduit bien le type des puritains de la primitive Eglise, d’un Tertullien, d’un Commodien, d’un saint Jérôme. Johannès est d’une vraisemblance plus discutable. Ce qu’il y a d’essentiel en lui, et de meilleur, la pitié fraternelle pour les maux du corps et pour ceux de l’âme, est un sentiment que les chrétiens du IIe siècle n’ont pas ignoré ; mais, en général, ils ne l’ont pas exprimé avec des recherches d’esthètes raffinés, et ils n’y ont mêlé ni les élans d’enthousiasme éperdu, ni, encore moins, les troubles de sensualité presque maladive que l’on peut démêler dans la dévotion du héros de M. Richepin. Qu’on lise, — puisque tout à l’heure nous prononcions son nom, — les lettres de saint Cyprien : la bonté y est ferme, la tendresse virile, la piété raisonnable, le mysticisme même sain et équilibré. Voilà le vrai christianisme latin, auprès duquel les extases de Johannès paraissent d’une « religiosité » bien moderne. Elles n’en sont peut-être pas moins intéressantes : il est probable que, sur le théâtre, un vrai saint du IIe siècle, d’une austérité prudente et grave, ne séduirait pas autant que le poète tour à tour séraphique et charnel que nous a présenté M. Richepin. — Il a sans doute cédé à un besoin analogue de rajeunissement en concevant comme il l’a fait sa Flammeola : malgré son nom, déniché dans quelque inscription des Catacombes, elle est surtout une femme de nos jours, blasée, curieuse, coquette, perverse un peu, avec un arrière-fond de sincérité ingénue, personnage très vivant en soi et très captivant, mais que l’on situerait plus volontiers dans un salon de] la plaine Monceau que dans un palais du Cœlius ou de l’Aventin. — Son cher Zythophanès, lui aussi, est très voisin de nous : par sa souplesse de dialectique, son scepticisme fuyant et sa parole fleurie, il ressemble plus à un Renan ou à un Anatole France qu’aux philosophes lourdement consciencieux qu’Aulu-Gelle nous fait connaître dans ses Nuits Attiques. — Bref, l’exactitude de la reconstitution historique, très complète dans les scènes épisodiques, est plus mêlée quand il s’agit des caractères principaux, et ne pouvait pas ne pas l’être. Pour retenir l’attention du public sur ce conflit, — éternel et si beau, — entre l’amour humain et l’amour divin, un poète du XIXe siècle ne pouvait pas mettre en jeu des person nages qui fussent exclusivement du n c ; il lui fallait unir, à des