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traits de mœurs antiques, des passions que nos contemporains pussent comprendre, parce qu’au fond elles sont les leurs.

Libre de la forme dramatique dans ses Contes de la décadence romaine, M. Richepin a pu être plus strictement fidèle à la couleur locale. « En une prose aux cadences latines, » comme il le dit lui-même, avec une harmonie de périodes, une abondance de développement, un luxe de métaphores et une habileté d’arrangement des mots où les rhéteurs romains reconnaîtraient une prestigieuse application de leurs préceptes, il a raconté un certain nombre d’anecdotes fictives, mais où tout est, sinon puisé chez les auteurs anciens, du moins conforme à ce qu’ils nous apprennent. Le mérite archéologique de ces contes, comme leur mérite de style, est très précieux, et peut faire les délices des connaisseurs, mais de ceux-là seulement. Leur valeur est encore restreinte en un autre sens ; nous voulons dire qu’ils ne sont pas très variés de sujet. A part un ou deux, tous roulent sur des histoires de magiciennes, de gladiateurs ou de « monstres. » Que M. Richepin se soit passionné pour cette classe de la société romaine, qui lui rappelait les objets de sa plus chère admiration, saltimbanques, lutteurs et « phénomènes » de foire, on n’en sera point étonné sans doute. Qu’il ait même eu raison, en tant qu’historien, de noter le goût très vif des Romains de l’Empire pour les spectacles du cirque et de l’amphithéâtre, cela ne fait pas de doute : ce goût a existé, attesté par maint satirique, poussé jusqu’à la maladie, à la folie. Mais, dans la décadence même, et dans les temps les plus pourris, il y a eu autre chose. A nous narrer avec tant de volupté comment Publius Metellus Scaurus donna en mariage sa fille unique à un homme-tronc de Libye, ou comment Labrax le père tua Labrax le fils pour l’honneur de la gladiature, et vingt autres anecdotes du même genre, l’auteur s’expose à nous donner du siècle où il nous transporte une idée incomplète et par suite fausse. Par goût ou par système, il ne voit du monde romain qu’un seul aspect, toujours le même, l’aspect le plus extraordinaire, le plus propre à provoquer notre étonnement et à chatouiller notre curiosité, il est vrai, mais aussi le plus déconcertant, tour à tour le plus atroce ou le plus répugnant, et en dernière analyse le moins humain. On ne peut qu’être ébloui par la force et l’adresse qu’il emploie à décrire ces bizarreries, mais on ne doit pas oublier que même