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tragédie ? Le poète, d’ailleurs, ne se défendait point de cette allusion si reconnaissable. Il la proclamait au contraire dans la très curieuse dédicace au Pic Martial qui sert d’épilogue à sa pièce :


J’ai chanté les Français en chantant les Romains,
On peut un jour les vaincre : on ne peut de leurs mains
Arracher le grand sceptre.


Mais cette préoccupation actuelle et patriotique, si elle a donné à l’œuvre plus d’ardeur passionnée, n’en a point faussé la couleur. M. Parodi a pensé aux Français, il a voulu les consoler et les glorifier : mais ce ne sont pas des Français qu’il a représentés, ni des modernes, ce sont bien des Romains, un peu embellis et grandis peut-être, tels du moins qu’ils voulaient se montrer, tels que les voyaient leurs descendans, tels, par exemple, que les a dépeints la piété d’un Tite-Live.

Rien n’est invraisemblable historiquement dans cette noble tragédie. Le thème sur lequel elle repose, — la colère des dieux déchaînée contre Rome par le sacrilège d’une Vestale et apaisée par la punition de la prêtresse infidèle, — est tiré des croyances les plus habituelles de la Rome archaïque : les annales fourniraient vingt exemples de sacrifices expiatoires de cette espèce. Les sentimens que cette aventure met en jeu sont aussi de la plus parfaite vérité : l’émoi des hommes d’Etat patriciens devant une catastrophe pour eux inexplicable, leur chagrin à l’idée qu’une de leurs filles a pu violer ses sermens, mais en même temps leur résolution de châtier la coupable quelle qu’elle soit, — l’énergie de Fabius, obligé de prononcer lui-même la sentence contre sa fille adoptive, — la résignation de la victime, consentant au supplice pour le transformer en expiation volontaire et méritoire, — la tristesse de ses bourreaux, qui ne les empêche pas d’aller jusqu’au bout de leur mission terrible, — et, dominant tout cela, pénétrant tout cela, un irrésistible amour de cette patrie romaine à laquelle tous doivent s’immoler, — ces divers états d’âme sont bien ceux que la lecture des historiens latins nous a rendus familiers. M. Parodi n’a pas voulu, cédant au goût de notre époque, multiplier les touches de prétendue « couleur locale : » il a mis dans sa pièce juste assez de particularités de costume et de vocabulaire, de gestes et de rites, pour la dater précisément, juste assez et pas davantage,