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mais, ce qui est bien plus important, il a ressaisi les principes même de la vie romaine, la conception morale qui présidait aux actes des Latins du temps d’Hannibal.

Cette attention respectueuse du poète à la vérité des mœurs apparaît surtout dans les endroits où il pourrait le plus être tenté de s’en départir. Une scène très frappante, à cet égard, est celle où Fabius et le poète Ennius discutent sur le sacrifice humain qui va s’accomplir, Ennius en contestant la légitimité au nom de la raison et de la nature, Fabius lui répondant par l’intérêt de l’Etat et la fidélité au mos majorum : très beau sujet de controverse, éternel en sa substance, et susceptible de s’élargir à l’infini. Là justement est le danger. Sur cette opposition entre la tradition et le progrès, entre l’autorité religieuse et le libre examen, entre l’utilité sociale et les droits de l’homme, il serait facile d’écrire une scène de pièce à thèse d’un accent tout actuel. M. Parodi s’en est bien gardé. Sans doute il n’a pas dissimulé l’importance profonde et durable de ces grandes questions ; elle éclate à la fin du dialogue, dans un brusque et puissant échange de répliques :


La Patrie avant tout ! — Non, non ; avant tout, l’homme !


Mais ces idées très générales sont revêtues dans sa pièce d’une forme franchement antique. Tel vers de Fabius est imprégné de la plus pure moelle de la morale latine :


Ce qu’ont fait les aïeux doit être respecté ;


et quant à Ennius, le poète lui fait tenir si peu le langage d’un libre penseur ou d’un humanitariste du XIXe siècle, qu’une bonne partie des argumens qu’il lui prête sont copiés sur les fragmens authentiques que nous avons conservés du vieil auteur latin. Là mieux qu’ailleurs, croyons-nous, on peut apercevoir ce qui est la marque distinctive de Rome vaincue, ce qui en fait, — malgré quelque rudesse et gaucherie d’exécution, — une œuvre digne de vivre : l’union d’une très forte sincérité morale et d’une très loyale conscience historique.


VI

Cette probité dans l’étude de l’antique que nous avons rencontrée chez Heredia, dans les meilleures pages de Richepin, et dans la tragédie de M. Parodi, nous la retrouvons dans les