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Alexandre de Humboldt était l’un des favoris de ces grandes charmeuses, et, quoique professant des opinions libérales, prisé au plus haut degré par les plus royalistes d’entre elles. Cette faveur lui avait été assurée par sa réputation d’explorateur audacieux, par son savoir qui était immense, par le charme de sa conversation, par l’intérêt des souvenirs qu’il avait l’art d’y répandre, par l’éclat de ses travaux et le retentissement de ses découvertes ethnographiques, par sa fidélité à ses amis. Familiarisé avec notre langue qu’il parlait aussi bien que la sienne, il se faisait pardonner d’être étranger par le prix qu’il attachait à l’estime et à la considération des Français, aussi bien pour lui-même que pour ses ouvrages. Son patriotisme prussien ne l’empêchait pas d’aimer Paris comme sa propre patrie. En un mot, il avait su captiver les cœurs non moins que les esprits, et, de toutes parts, il recevait quotidiennement le témoignage du goût que, dans la société aristocratique et le monde savant, on professait pour lui.

Très répandu dans Paris, écrivant force lettres, en recevant de nombreuses, Alexandre de Humboldt était pour la police une proie tout indiquée, un gibier de choix. Il y avait chance qu’en s’emparant de ses papiers et en lisant sa correspondance, on eût les échos des salons et des milieux diplomatiques. Cette surveillance présenterait en outre un autre avantage. Le baron Alexandre ne correspondait pas seulement avec Paris, mais aussi avec Berlin, avec Londres, avec Vienne. Son principal correspondant à l’étranger était son propre frère, le baron Guillaume, son aîné de deux ans, savant comme lui, mais qui avait abandonné momentanément la science pour la carrière politique.

Ayant débuté dans cette carrière comme ministre de Prusse à Rome et occupé dans son pays, à Francfort notamment, de hautes fonctions administratives, il figure, de 1815 à 1820, sur les divers théâtres où se jouaient alors les destinées de la France. Lors de la première invasion, il suit le roi de Prusse à Paris ; il est un peu plus tard au Congrès de Vienne avec le chancelier Prince de Hardenberg qui s’est fait le protecteur des deux frères. Il retourne ensuite à Francfort d’où il est nommé représentant de la Prusse à Londres. On le retrouve au Congrès d’Aix-la-Chapelle et bientôt après, il atteint enfin le point culminant de sa carrière, en entrant dans le Cabinet Prussien que