Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle aurait été heureuse que M. de Humboldt voulût bien se joindre. J’espère qu’il sera assez bon pour me dédommager de cette privation, afin de m’aider à guérir la méfiance que j’ai eue de moi-même. »

A lire cette prose cérémonieuse et compassée, on est enclin à penser que la femme qui l’écrivait eût été à sa place parmi les précieuses et ne pouvait inspirer une amitié bien vive. Très différentes nous apparaissent d’autres femmes alors à la mode, qui enguirlandaient Humboldt comme elles enguirlandaient Chateaubriand, afin de le maintenir dans leur intimité. Telle par exemple la marquise de Prie, à qui Humboldt écrit le 5 janvier 1819, au moment où elle rentre à Paris :

« Est-ce bien vrai que la plus aimable, la plus spirituelle des marquises veuille me voir ? J’irai me jeter à ses pieds pour obtenir mon pardon. Mais, accoutumé à ne pas trop me fier aux amnisties, le cœur tout plein encore de tout ce que vous avez dit contre moi à mon frère, à Vienne, en me voyant rester dans cette Babylone moderne « lors de l’arrivée du monstre, » je veux un pardon plus formel avant de me présenter chez vous, madame. En Chine, on resserre les grands coupables par les solstices d’hiver ; c’est alors que l’extension a lieu parmi les chrétiens ; on pardonne, à la même époque, même à des libéraux comme moi ; daignez donc vous prononcer sur mon sort. Je demande deux lignes de cette jolie écriture, et surtout que vous ne me fassiez pas de reproches, à cause d’une certaine réponse que je vous dois, et que j’ai remise d’une saison à l’autre, cherchant une occasion sûre de vous donner l’état des partis. Veuillez donc, madame, me pardonner, avant que je quitte l’Europe (car enfin ce sera pour de bon) et si Lady Morgan, Mme Benjamin Constant, et Mme Dupin vous laissent quelques instans libres, daignez me les accorder. »

Le Cabinet Noir livre à la police, le surlendemain, cette lettre et la réponse de Mme de Prie :

« Ce mercredi soir, 6, dix heures. — Je reçois votre charmant billet, et je n’ai presque pas achevé de le lire que je m’empresse d’y répondre par un mot à la hâte. Une personne, comme vous, n’a jamais besoin de pardon, et vous le savez bien. Voilà pourquoi vous craignez si peu de vous rendre coupable. Je suis, tous les jours, visible de dix heures à midi, et de trois à cinq. Je soupire, depuis trois mois, après vous, monsieur,