Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ce qui touche aux de Broglie. Il le leur prouve encore quand meurt Mme de Staël. La police n’a pu mettre la main sur les lettres qu’il leur écrit à ce moment, ni sur les condoléances qu’il adresse à Benjamin Constant. Mais elle s’empare de la réponse de celui-ci[1] :

« Mille remerciemens, mon excellent ami, et du beau présent, et de la lettre qui l’accompagne. Je suis bien peu en état encore de profiter de l’un et de répondre à l’autre. Le sentiment que j’éprouve devient plus oppressif à mesure qu’il semble devenir moins déchirant. Il y a au fond de mon cœur une apathie sombre et pesante dont je crois qu’il me sera bien plus impossible de me relever, que de la douleur la plus vive. Je n’ai plus de courage à rien, parce que, sans le savoir, même après une longue absence et une séparation presque habituelle, je rapportais tout à Mme de Staël, et que je n’ai aucune pensée qui ne me la rappelle et qui n’aille se briser sur son cercueil. Ce que vous dites est cruellement vrai ; les couches interposées par le temps sont soulevées par la mort, et le passé apparaît avec une vie qui fait pâlir et qui détruit celle qu’on croit rester.

« Reconnaissance et triste, mais bien tendre amitié.

B. C. »


Les relations d’Alexandre de Humboldt dans la société de Paris sont, on le voit, aussi nombreuses que variées. Mais les femmes y tiennent la plus grande place. Lorsqu’en 1819, Real, l’ancien conseiller d’État de l’Empire, proscrit en 1815, voit, grâce à Decazes, cesser son exil, sa fille, Mme Lacuée, écrit à Humboldt :

« J’aurais, été bien heureuse, monsieur le baron, si j’avais été la première à vous annoncer le rappel du comte Real, mon père. J’avais entendu dire que M. de Humboldt n’était plus à Paris, et je regrettais de ne pouvoir vous faire part de mon bonheur, car je ne songeais qu’à celui qui, dans un temps bien douloureux pour moi, s’était intéressé d’une manière si bonne et si aimable au sort de mon pauvre exilé. Ce fut hier seulement que j’appris que vous étiez encore dans notre capitale. Je m’empresse de réparer de suite un malentendu que je vous supplie de ne pas prendre pour un oubli qui serait impardonnable

  1. Quoique j’aie publié cette lettre, il y a déjà plusieurs années, elle est trop à sa place ici pour que je ne la reproduise pas.