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écrit sans avoir à lui parler de ma reconnaissance. Chaque année a été signalée par des bienfaits. Le plus grand m’a paru cette bienveillance constante, cet intérêt non interrompu par lesquels vous avez encouragé les premiers essais de ma jeunesse, les travaux plus mûrs d’un temps où l’on apprend à dompter son imagination et à reconnaître les véritables biens de la vie. L’expression de ma reconnaissance doit avoir de la monotonie ; je connais cependant assez votre cœur pour savoir qu’elle ne vous déplaît pas, que vous aimez à voir de temps en temps cette écriture qui vous rappelle d’autres époques bien éloignées de la vie.

« J’ai reçu les douze cents écus que Votre Altesse a daigné me faire assigner pour l’achat des instrumens et des livres ; j’en rendrai le compte le plus détaillé. Jamais gouvernement n’a agi d’une manière plus libérale et plus délicate envers un homme de lettres. J’aime à vous devoir ce qui m’arrive de bien dans ce monde. Je le dis à tout ce qui m’entoure, les épanchemens me sont un besoin. Daignez agréer l’hommage renouvelé de mes sentimens d’affection, de respect et de reconnaissance. J’aurai l’honneur de vous adresser sous peu la première esquisse de mon plan de voyage[1]. Je ferai même ce plan en double, l’un sous la forme officielle, l’autre dans une lettre adressée au Prince chancelier d’Etat.

« Je suis à attendre le retour de M. Amédée Jaubert[2] qui est encore à la campagne pour se délasser des fatigues de sa course aux bords de la mer Caspienne. C’est lui qui a été chercher ces chèvres de Cachemyre, qui ont coûté au gouvernement 400 000 francs. (Il y en a trois cents en vie). Je suis tellement harcelé de lettres que l’on m’adresse sur mon voyage depuis six mois que je ne puis m’en tirer sans secrétaire. J’ai cru que je serais un peu plus tranquille, en répondant que je vais par le Cap de Bonne-Espérance, et que je retourne par terre. Les dilettanti voyageurs craignent heureusement les longues navigations, je compte cependant faire tout le contraire de ce que je dis. J’apprends avec beaucoup d’assiduité le persan, j’ai des leçons tous les jours. Je compte aller par Constantinople, où les rochers volcaniques des Dardanelles ont été mal vus jusqu’ici,

  1. Il préparait déjà son grand voyage d’exploration dans l’Asie centrale qu’il ne put faire qu’en 1829.
  2. Un des plus brillans élèves de l’orientaliste Silvestre de Sacy.