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faire une partie d’échecs, et il dut s’éloigner. Elle finit cependant par se rapprocher, et par s’intéresser à la partie ; et dès lors, Giacomo fit tous ses efforts pour battre son adversaire ; il eut la joie de s’apercevoir, en lui expliquant la marche du jeu, qu’elle était intelligente. Le samedi, il l’entretint plus longuement, et réussit à la faire rire par ses mots d’esprit. Le lendemain matin, ce fut le départ. Traduisons une page de son récit, puisqu’on ne l’a jamais traduit en français ; et notons comment, à la douleur réelle, se mêle le souci littéraire d’observer, de prendre des notes, de conserver même des documens pour des œuvres futures :


En entendant passer des gens d’aussi bonne heure, tout d’un coup j’eus conscience que les hôtes se préparaient au départ ; et plein de patience et d’impatience, en entendant d’abord passer les chevaux, puis arriver la voiture, puis des gens aller et venir, j’ai attendu un bon moment, j’ai tendu l’oreille avec avidité, croyant à tout instant que c’était la Dame qui descendait, pour entendre sa voix une dernière fois ; et je l’ai entendue. Ce départ n’est pas arrivé à me déplaire, parce que je prévoyais que j’aurais passé une triste journée, si nos hôtes avaient prolongé leur séjour. Et maintenant, je la passe avec les sentimens que j’ai dits ; et il s’y joint une petite douleur aiguë qui me prend chaque fois que je me rappelle les jours passés, — souvenir plus mélancolique que je ne saurais dire, — et qui me prend aussi quand le retour des mêmes heures et des mêmes circonstances de la vie me rappelle les heures et les circonstances de ces jours-ci, voyant autour de moi un grand vide, et sentant mon cœur se serrer amèrement. Et mon cœur très tendre, tendrement et subitement s’ouvre, mais il ne s’ouvre que pour son objet…………………

Si c’est l’amour, et je n’en sais rien, c’est la première fois que je l’éprouve à l’âge de faire quelque réflexion à son sujet ; et me voici, à l’âge de dix-neuf ans et demi, amoureux. Et je vois bien que l’amour doit être une chose très amère ; et que malheureusement (je parle de l’amour tendre et sentimental) j’en serai toujours l’esclave. Et pourtant, cette affection présente..., je suis bien certain que le temps avant peu la guérira ; et je ne sais trop si j’en suis heureux ou malheureux, sauf que la sagesse me fait dire que j’en suis heureux. Voulant donner quelque satisfaction à mon cœur, et ne sachant ni ne voulant faire autre chose que d’écrire, et ne pouvant écrire autre chose aujourd’hui, j’ai essayé des vers ; et les trouvant rebelles, j’ai écrit ces lignes, avec l’intention, aussi, d’observer minutieusement l’essence de ce sentiment, et de pouvoir retrouver toujours avec précision l’impression de la première entrée véritable de cette passion souveraine dans mon cœur[1]...


Cette pure et fraîche confession, cette pénétrante analyse, se

  1. Diario d’amore, Scritti varii inediti, 1906, p. 168-169