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familles de la ville avaient l’habitude d’envoyer leurs enfans au couvent pendant les heures de récréation ; Giacomo, l’hiver, vint y jouer à la loterie ; l’été, à la balle ou aux boules. Voici le palais des Antici, qui porte un nom latin sur sa porte sculptée : Raphaël Anticus ; froid, sévère, et rude, comme s’il y avait une harmonie entre son architecture rigide et le caractère d’Adélaïde Antici, mère de Giacomo. En continuant à suivre la longue rue centrale, on arrive à San Vito, la cathédrale ; à droite de l’entrée, l’Oratoire : ici la Congrégation des nobles tenait ses assises ; ici Giacomo prêcha. Franchissons la porte Marine, et descendons de quelques pas : nous sommes à Santa Maria di Varano, l’église des tombeaux. De grandes pierres sépulcrales disent, dans leur langage d’apparat, qu’elles recouvrent les corps du comte Monaldo Leopardi ; et d’Adélaïde Antici, sa femme ; et de Paolina, leur fille ; et de Luigi et Pier Francesco, leurs fils ; et que leur vie fut ornée de toutes les vertus ; et que leur âme est au ciel. Et voici encore, en rentrant dans la ville, l’église des Ursulines avec le couvent : c’est toujours un pensionnat renommé, et les mères y viennent toujours conduire leurs filles, ainsi que fit jadis Gertrude Cassi. Au centre du pays se dresse l’énorme tour carrée de l’ancien hôtel de ville. Les habitans ont abattu le vieil édifice pour en construire un nouveau plus digne, à ce qu’ils croient, de servir de cadre à la statue du poète. Mais ils ont respecté la tour ; l’horloge n’a pas changé ; c’est la même qui faisait entendre, il y a cent ans, sa voix sonore, et insistait tous les quarts d’heure sur l’accablante monotonie du temps.

De tous les palazzi qui font contraste avec les demeures des petites gens, le palais Leopardi est sans contredit le plus curieux. Il est l’œuvre d’un oncle chanoine, qui fut l’architecte de la famille. La ligne courbe de sa façade n’est pas sans une certaine harmonie paradoxale ; la corniche légèrement surplombante, les lucarnes, les fenêtres, les balcons, les multiples portes, le vert des auvens qui tranche sur la couleur mate des briques, amuseraient l’œil d ? un artiste. Le porche a de la grandeur ; l’escalier qui mène aux appartemens, immense et savant, est plein de majesté. Ce qui frappe d’abord, lorsqu’on pénètre dans la bibliothèque, c’est l’armoire où sont renfermés les cahiers de Leopardi enfant. On lit, à travers la vitre, une de ses narrations, — une narration comme tous les écoliers en écrivent :