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Vous décrirez un incendie... « La lune roulait toute pâle dans le ciel et faisait de brusques apparitions à travers les nuages déchirés. Tout était silencieux, et les corps fatigués reposaient dans un sommeil tranquille, quand, à l’improviste, je suis réveillé par des rumeurs insolites qu’on entend confusément résonner dans l’air. Je me lève en toute hâte, je descends les escaliers, et déjà je suis hors des murailles domestiques. Oh ! quel spectacle digne en vérité de compassion s’offre à moi ! Je vois, non loin, tout embrasé et entouré par les flammes, le toit d’un de mes très chers amis. Le feu dévorant en peu de temps l’abat, et l’égalise au sol... » La grosse écriture enfantine montre l’application de l’élève laborieux. Tout à côté, entre autres reliques, cette traduction des odes d’Horace qui fut son premier orgueil, en 1809 : on remarque le soin qu’il prenait d’imiter l’aspect extérieur des livres dans son manuscrit : non pas des lettres vulgaires, mais de grandes majuscules, comme à l’impression ; il ne manque même pas l’élégante bordure dont on encadrait volontiers les titres à l’époque. Ainsi, à onze ans, ce qui le séduisait comme un mirage, c’était l’espoir et déjà l’illusion d’être auteur.

Aux murs sont suspendus les portraits de famille : Giacomo lui-même, dont la figure émerge d’un col romantique ; Paolina ; Monaldo, revêtu d’un bel habit brodé qui s’entr’ouvre pour laisser voir le blanc du jabot et de la cravate. Casquée de cheveux noirs, ornée d’une aigrette comme d’un plumet, engoncée jusqu’au menton dans sa robe, Adélaïde Antici jette devant elle un regard sévère. Les traits sont durs, le nez gros, les lèvres épaisses ; l’artiste ne l’a pas flattée : on la trouve telle qu’on se la figurait par avance, toute virile ; c’est en vain que, par crainte d’être injuste, on cherche une expression de douceur dans ses yeux froids.

On parcourt les salles de la bibliothèque, pieusement laissées dans leur état. On passe devant l’armée des livres, recouverts les uns de papier colorié, les autres de parchemin, admirablement tenus. Des divisions bien ordonnées les séparent suivant leurs affinités ; des écriteaux annoncent qu’on trouve ici les poètes, et là les théologiens : des boîtes de fiches contiennent leur inventaire. Les livres à l’index sont dans une armoire grillée, que l’on n’ouvrait qu’à bon escient ; elle contient les œuvres de Giordani, à côté de la Nouvelle Héloïse. Cette mesure