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de prudence n’atteignait pas Giacomo, pour qui son père avait demandé à Rome la permission de tout lire : pas de grille pour lui, sauf quand ses propres ouvrages prirent place derrière elle, plus tard. Dans une alcôve se trouve une manière de petit musée, où Monaldo collectionnait les objets rares qu’il trouvait d’occasion : émaux, ivoires, miniatures, médailles, statuettes, en général curieux et bien choisis.

Monaldo travaillait dans une salle à part, où pendant plus de vingt ans il vint tous les jours écrire ou lire, et où il mourut. Giacomo travaillait dans une des salles de la bibliothèque. On voit sa table de travail, si étroite qu’il devait avoir peine à y ranger les feuilles de son grand papier. On prend en main ses livres familiers : sur quelques-uns, on retrouve la trace de son écriture. On relit ses articles dans le Spectateur ; et sur le papier jauni, on compte les fautes d’impression qu’il corrigeait lorsqu’il recevait sa revue. On s’approche de la fenêtre où il entendit, à l’aube d’un dimanche de décembre, les allées et venues des domestiques, les pas des chevaux, le bruit du carrosse, et la voix de celle qu’il aima pour la première fois. On a l’illusion que le temps s’est arrêté ; qu’on est reporté de cent ans en arrière, en 1811, le jour où il offrait à son père, gravement, Pompée en Egypte. — A parler des enfances de Leopardi sous le toit même qui les abritèrent, on croit les revivre auprès de lui ; et quand une porte s’ouvre, on s’attend presque à le voir entrer.


PAUL HAZARD.