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cas, comme tout le monde le répète, une indiscipline générale qui a fait de la négligence et du laisser-aller une déplorable habitude. On en voit aujourd’hui les suites.

Les journaux parlent de sanctions sévères qui seront prises ; ils désignent même les victimes ; mais quand on aura choisi quelques boucs émissaires, nous doutons fort qu’on ait pourvu au mal, car il est partout et l’administration des Beaux-Arts n’est pas seule à en être atteinte. Ce sont nos mœurs administratives et politiques qui en sont la cause ; elles ont diminué partout l’autorité, la responsabilité, le sentiment du devoir que chacun ne remplit plus qu’avec nonchalance et par à peu près. Les choses vont ainsi, elles continuent d’aller plus ou moins longtemps, jusqu’au jour où une catastrophe subite en fait apercevoir l’étendue et la profondeur : alors tout le monde s’exclame, les spécialistes donnent leurs avis et les imaginations battent les champs. Le vrai est que la Joconde a été volée parce que, personne ne croyant qu’elle pouvait l’être, elle n’était pas gardée. Tous ceux qui sont entrés au Louvre ont vu un gardien uniquement affecté aux diamans de la couronne et au Régent, qui peuvent avoir une grande valeur commerciale, mais dont la valeur d’art est à peu près nulle ; en revanche, des salles entières n’ont qu’un seul gardien, dont l’attention s’assoupit souvent et ne saurait exercer sur tous les points et à tous les momens une surveillance efficace. Il n’est personne qui n’ait été frappé quelquefois de la facilité avec laquelle on pourrait emporter un objet plus ou moins précieux. La Joconde semblait devoir échapper à ce danger par la place très en vue qu’elle occupait : mais tout peut arriver et tout arrive. On prendra certainement des mesures pour empêcher le retour de pareils accidens, et nous espérons qu’elles seront suffisantes, mais rien ne nous consolera de la perte de la Joconde. Si elle ne rentre pas au Louvre, l’administration actuelle, disons même le régime actuel en restera frappé dans l’histoire de l’art d’une écrasante condamnation.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.