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appartient bien à l’auteur. C’est ainsi que, rapportant l’opinion de Plutarque que la vertu de l’homme et de la femme est même chose et l’opinion de Sénèque que nature a doué hommes et femmes de pareille faculté à toute chose honnête et louable et l’opinion de « ce tiers chef du triumvirat de sagesse humaine » à savoir Montaigne « qu’il se trouve rarement des femmes dignes de commander aux hommes, » elle ajoute très ingénieusement : « N’est-ce pas les mettre en particulier à l’égale contrebalance des hommes et confesser que, s’il ne les y met pas en général, il craint d’avoir tort ; bien qu’il pût excuser sa restriction sur la pauvre et disgraciée nourriture de ce sexe. » Vous voyez assez tout le raisonnement : si Montaigne, qui ne peut avoir tort, déclare que rarement les femmes sont au-dessus des hommes, c’est qu’il confesse qu’elles y sont quelquefois ; or si l’on tient compte de la façon dont la plupart des femmes sont élevées, et de ce que, malgré cette pauvre nourriture, il y en ait quelques-unes non seulement à égalité avec les hommes, mais dignes de leur commander, la conclusion n’est-elle pas qu’au total elles valent les hommes ? — La déduction est louable.

Autre exemple. Saint Paul défend aux femmes de prêcher. Est-ce mettre les femmes au-dessous des hommes ? Point du tout : « S’il fait cette interdiction, il est évident que ce n’est point par aucun mépris ; mais bien seulement de crainte qu’elles n’émeuvent les tentations par cette montre si claire et publique, qu’il faudrait faire en ministrant et prêchant, de ce qu’elles ont de grâce et de beauté plus que les hommes ; et je dis que l’exemption de mépris est évidente, puisque cet apôtre parle de Thesbé comme de sa coadjutrice en l’œuvre de Notre-Seigneur... » Et voilà encore qui est déduit très congrûment.

Mlle de Gournay n’est rien moins et est beaucoup plus que la compilatrice dont M. Ascoli fait si peu d’état.

A tous les égards, ce n’était pas une femme de génie ; mais c’était une femme très intelligente, de goût beaucoup plus sûr que les gens de goût de son temps, vive et spirituelle, et qui a eu le plus charmant des ridicules, celui de rester fidèle pendant soixante-cinq ans à un homme de génie qu’elle avait fréquenté quelques mois pendant sa jeunesse.


EMILE FAGUET.