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LETTRES D’UN PHILOSOPHE
ET D’UNE
FEMME SENSIBLE

CONDORCET ET MADAME SUARD
D’APRÈS UNE CORRESPONDANCE INÉDITE

I
L’AMITIÉ TENDRE

Le 5 germinal an II, redoutant pour son héroïque logeuse, Mme Vernet, les suites d’une perquisition domiciliaire, Condorcet, à dix heures du matin, quittait la maison de la rue Servandoni, où, proscrit par la Convention, il avait pendant neuf mois trouvé un sûr asile. Il était en carmagnole et bonnet de laine ; il suivit la rue de Vaugirard, franchit la barrière du Maine et, dans la plaine de Montrouge, se sépara de son compagnon, le géomètre Sarret. Resté seul, il prit son chemin vers Fontenay-aux-Roses. Il y rencontrerait des amis de vingt-cinq ans, le ménage Suard. Dans les derniers temps, leurs relations, comme beaucoup d’autres en ces époques troublées, s’étaient détendues, mais sans jamais se rompre. Condorcet pouvait évoquer tant de souvenirs de leur jeunesse ! les années passées sous le même toit, les libres causeries sur tous les sujets avec son confrère, l’académicien Suard, et surtout l’intimité délicate, l’amitié tendre qui jadis avait fait de Mme Suard sa confidente et sa conseillère...

Cette amitié de Condorcet et de Mme Suard j’essaierai de