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en la séparant de Bruges, entrepôt des laines anglaises ; néanmoins, le luxe des habitans avait éveillé le goût de l’art. De nombreux peintres et imagiers sont cités pendant les XVe et XVIe siècles : les Lefebvre, Nicaise, Simon et Godefroi de Cambrai, Pierre Maillart, Pierre de Laet, Jean Viellard, Jean le Carlier, les Lescripvent. Ici, comme à Tournai, c’est en grande abondance que nous rencontrons tapisseries de haute lisse, toiles peintes, statues, tableaux, bahuts, chaises à dossier, coffres sculptés, joyaux, bijoux. Jean Bellegambe, que ses contemporains qualifient de « peintre excellent ou maître des couleurs, » et à qui Guichardin reconnaît un grand talent de paysagiste, continuait comme ses grands prédécesseurs flamands et wallons de fournir des modèles aux ouvriers d’art douaisiens, tout en peignant des retables pour les églises et les abbayes. Nous pouvons répéter en outre avec le chanoine Deshaines qui lui a consacré une imposante monographie : « Jean Bellegambe est un artiste chrétien, instruit, pieux, un peintre théologien, dirions-nous volontiers, qui connaît la doctrine de l’Eglise non seulement dans son ensemble, mais aussi dans ses détails et dans ses preuves par l’Écriture sainte, les saints Pères, la tradition et le symbolisme[1]. » On ne dit point qu’il fut clerc comme Jacques Daret, mais il eût mérité de l’être ; et certainement il était aussi profondément croyant que le peintre de la Vierge de Francfort et celui de la Descente de Croix de l’Escurial. Mais il n’a plus la facture énergique, la palette vivante des maîtres de Bruges, de Gand, de Tournai. Il accueille avec empressement les nouveautés que nos artistes italianisans introduisent dans la peinture au début du XVIe siècle : riches décors architectoniques, vêtemens pleins de fantaisie, paysages romantiques de rochers bleuâtres, nombreuse et pittoresque figuration de petits personnages ; mais sa technique est très inférieure à celle de Jean Gossart, de Metsys, de van Orley. Son chef-d’œuvre est un retable polyptyque « représentant sur les panneaux extérieurs le Sauveur offrant la croix à la vénération du monde entier, et, sur les panneaux intérieurs, la Sainte Trinité adorée par toute la hiérarchie céleste[2]. » Exécutée de 1516 à 1520 pour l’abbaye d’Anchin, l’œuvre est aujourd’hui conservée dans la sacristie de l’église Notre-Dame à

  1. Chanoine Deshaires, la Vie et l’œuvre de Jean Bellegambe. Quarré, Lille, 1890.
  2. Ch. Deshaines, op. cité.