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le Fez-Bahlil, le soleil éclatant sème les paillettes d’or de l’illusion sur les ruines lépreuses, les parures défraîchies des portes chancelantes et des remparts délabrés. Devant les bou- tiques étroites comme des logettes de chettys indiens, les soldats de France, fusil en bandoulière et casque en bataille, essaient la vertu d’un sabir expressif et marchandent pantoufles brodées, poignards de pacotille, cartes postales, flacons d’essence de rose dont ils éblouiront, à leur retour, amis et parens. Les « Café du Commerce, » les « Rendez-vous des Bons Enfans, » hâtivement installés par des mercantis hétéroclites, poussent sur les trottoirs étroits et bosselés leurs tables boiteuses où s’attardent des « hommes de corvée » sans défiance contre l’ivresse rapide versée par l’anisette indigène et les pernods frelatés. Des chameaux, des chevaux, des ânes, des charrettes s’enchevêtrent dans les ruelles sombres des « soukhs » recouverts d’une toiture de branchages, où les indigènes commentent les nouvelles politiques et les cours des marchés. Les marchands d’eau promènent leurs outres fraîches, leurs gobelets attrayans qu’annoncent leurs clochettes tintinnabulantes. Des bijoutiers cisèlent des parures barbares ; des forgerons préparent les faucilles pour les moissons imminentes ; des bouchers ambulans promènent des viandes violacées, couvertes de mouches ; une clientèle affairée se presse autour des étalages où les produits locaux voisinent avec la pacotille européenne. Ouvertes sur un carrefour, les postes française, allemande, espagnole semblent s’observer avec hostilité. Vers la kashah de Bou-Jeloud, où, par-dessus les murs blancs et les masses de feuillages, apparaissent les toitures vertes du Trianon marocain, des chevaux impassibles et des serviteurs couchés à leur ombre, attestent que leurs maîtres apprennent le prix de l’aman accordé par le Sultan qui vient de retrouver une autorité précaire et discutée.

Dans la ville arabe, séparée du Mellah par les jardins de Bou-Jeloud, l’animation parait moins grande que dans le Fez-Jedid. Des traverses de bois interdisent aux Européens l’accès des mosquées inviolables. Cependant, le sanctuaire de Sidi Mohammed ben Jali ouvre sa porte finement sculptée sur une rue tranquille d’où les curieux peuvent admirer, dans le porche encombré de fidèles, six pendules différentes auxquelles un horloger, plus puissant que Charles-Quint, sait faire marquer la