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même heure. Des impasses mystérieuses, propices aux vengeances anonymes, où s’enfoncent des ombres indécises, évoquent les toiles de Decamps et les descriptions de Loti. Puis, les rues dégringolent vers la rivière qu’enjambent des ponts antiques et trapus. Des arômes d’orangers, de rosiers en fleurs, chassent le parfum nauséabond des cloaques et des égouts. Par-dessus les murs percés de portes discrètes, les grands arbres des jardins lancent leurs voûtes d’ombre ; les chants des oiseaux, les clapotis des jets d’eau tombant dans les vasques de marbre, le bruissement des cascades, remplissent de charme et de fraîcheur les belles résidences du quartier aristocratique, celui des consulats, des riches marchands, des grands fonctionnaires du Maghzen. C’est dans ce quartier, inaccessible aux voitures, mais relativement sain et bien aéré, que l’autorité militaire doit, quelques semaines plus tard, installer notre hôpital.

Vue de l’extérieur, en se plaçant vers les tombeaux saccagés des Béni Merin, la capitale marocaine a grand air. Sur les dernières pentes du Djebel Zalar, ses maisons blanches et bleues moutonnent comme des vagues qui projettent en gouttes d’écume les campaniles des minarets. Des éclairs brillent aux faïences vertes des résidences impériales et des mosquées. Un large fourré de jardins, de massifs de roseaux borde la rivière qui, de cascade en cascade, s’enfonce entre les montagnes pour aller se perdre dans l’oued Sebou. Des forêts d’oliviers montent à l’assaut des versans de la vallée ; groupés en bouquets touffus dans les fonds, les arbres s’espacent vers la mi-côte, et leurs petites taches sombres s’égrènent comme essoufflées et sans force pour atteindre les crêtes qui profilent leurs lignes jaunâtres dans l’azur du ciel. Sur des éperons étalés en plateaux, le bordj Nord et le bordj Sud, dont les vieux canons avaient suffi pour empêcher la révolte de la ville qui pactisait avec les Béni Mtirs, dressent leurs angles savans et leurs murs énormes, œuvre douloureuse des captifs européens razziés par les pirates barbaresques de jadis. Et vers le Sud, par-dessus la ville, les jardins et la plaine doucement ondulée, le bois de Dar Dbibagh estompe ses contours bleuâtres que dominent les tours et les remparts trapus de la résidence d’été du Sultan.

Le général en chef s’y est installé dans la salle de réception au plafond multicolore. Les faïences vertes et blanches du sol, les jets d’eau bruissant dans la cour dallée entretiennent une