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déserte, leur cavalcade n’avait fait aucune rencontre suspecte. Rien ne semblait donc devoir troubler un sommeil trop court, et vers lequel ils se hâtaient. Mais un émissaire attendait, porteur d’un renseignement sensationnel et précis. A deux kilomètres à peine de nos tentes, dans le Sud, des Béni Mtirs par centaines se préparaient secrètement à livrer un assaut brusqué, vers une heure du matin. L’émissaire jouait sa tête, mais la récompense qu’il espérait lui semblait plus désirable que la vie. Le sac lourdement lesté de douros, il disparut dans la nuit et les commandans des trois camps donnèrent hâtivement leurs ordres pour conjurer le péril.

Par sa situation, le bivouac du bataillon parisien de la colonne Gouraud devait supporter le premier effort des assaillans. Cette troupe, renforcée d’une batterie de bigors, était restée isolée, hors de la kasbah de Dar-Dbibagh, pendant les opérations du Zerhoun. Pour augmenter en cas d’attaque ses moyens de résistance, le capitaine d’artillerie, d’accord avec le chef de bataillon, avait imaginé de faire concourir son matériel à la défense immédiate des abords, et deux canons de 75 béaient par-dessus la tranchée la plus exposée. Cette précaution, dont le colonel à son retour approuva la sagesse, fut peut-être la cause de notre invulnérabilité.

Dès que parvient au bivouac l’avis de l’alerte imminente, les artilleurs sont envoyés sans bruit à leur poste de combat. Canons et caissons en batterie, cachés par les boucliers, officiers et servans veillent en silence, tandis que les fantassins dorment en paix sous leurs toiles. Les hurlemens des chiens prennent, dans le lointain, des tonalités lugubres ; des rondes passent comme des ombres, et vérifient la vigilance des sentinelles et du poste spécial. Les heures s’écoulent, lentes, marquées par la course insensible des étoiles qui fulgurent au fond du ciel noir. Un chameau gémit ; un cheval s’ébroue, tente de s’échapper ; un garde d’écurie, à demi réveillé, l’apaise avec un juron. Effet de suggestion ou mystérieuse anxiété de la nature, le calme de la nuit est angoissant, les souffles confus de la plaine endormie semblent les précurseurs de la Mort qui va passer. A voix basse, l’officier de quart et son camarade bigor échangent leurs impressions, discutent des hypothèses en scrutant l’horizon rétréci, presque palpable, qui protège les mouvemens d’un ennemi silencieux. Soudain, un cri retentit, tout proche :