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Straw, dont on ne sait à peu près rien, rien que le sobriquet familier sous lequel se déformait l’identité d’un audacieux meneur d’hommes qui s’appelait John Rakestraw. John Bail, enfin, le rhéteur fanatique et militant, naguère encore vêtu de l’habit de prêtre, en vain censuré par l’Eglise, en vain condamné par les évêques, John Bail, le démagogue mystique, le sermonneur égalitaire, dont les harangues imagées, la propagande têtue, les manifestes et les messages au peuple avaient tant contribué, depuis des saisons et des saisons, à semer au vent des campagnes d’Angleterre la semence haineuse et grandissante du sénevé de l’anarchie.

Toute cette foule en désordre, affamée, presque sans vivres, piétina longtemps la bruyère, sous le crépuscule de juin qui ne pouvait se décider à mourir. Enfin, la soirée s’avançant, elle parut s’abandonner au sommeil. Le silence et la fatigue occupèrent le plateau. Alors, de l’autre côté de la Tamise, de la longue presqu’île basse où pénètrent aujourd’hui les bassins démesurés des grands docks impériaux, comme aussi de la haute terrasse de la Tour qui surveille le bord extérieur de la Cité, on put apercevoir, au-dessus de l’estuaire, une myriade de feux improvisés rougir de leurs flammes ou de leurs tisons la courte nuit d’été, passagère et solsticiale, qui venait draper d’ombre les rives clapoteuses du fleuve et les remparts inquiets de la ville.


Cette année 1381 s’annonçait mal pour le royaume d’Angleterre, pour la cité de Londres et pour la race des Plantagenets.

Depuis quatre ans déjà, Edouard III n’était plus. Le roi Richard II, son petit-fils, héritier du Prince Noir, du héros national enlevé naguère à l’espoir confiant de la nation, portait sur ses jeunes épaules le poids décourageant d’un héritage qui aurait peut-être accablé son intrépide et glorieux père. Il était alors à mi-chemin de sa seizième année. Conformément à l’usage, on joignait à son prénom le nom de son lieu natal. Parce qu’il avait reçu le jour sur les bords de la Garonne, dans la capitale de l’Aquitaine britannique, on l’appelait Richard de Bordeaux. Il ne gouvernait encore que sous la tutelle d’un conseil de régence. Ses oncles se disputaient les approches du pouvoir. Le plus remuant, le duc de Lancastre, qu’on surnommait Jean de Gand, amassait et gonflait contre lui toutes les rancunes montantes et les colères prochaines.