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Le matin du jeudi 13, jour de la Fête-Dieu, il monte en canot sous la poterne fluviale de la Tour, et descend la Tamise jusqu’à mi-chemin de Greenwich, jusque vers la berge de Rotherhithe, où se dressait alors un manoir domanial, où se dessine aujourd’hui le dédale imposant des entrepôts maritimes du Surrey. Trois autres barques l’accompagnent. De la hauteur de Blackheath, laissant le gros de la cohue toujours campé sur la lande, dix mille hommes, assure-t-on, s’étaient transportés sur la plage pour accueillir son arrivée.

A l’approche de la royale chaloupe, de tumultueuses manifestations éclatent. Des hurlemens retentissent. « Et semblait proprement, » dit Froissart, « que tout li diable d’infer fussent en leur compaignie venu. » Soucieux et responsables, les conseillers du prince le détournent d’atterrir. La matinée finissait. L’embarcation va et vient, lentement, prudemment, sur l’eau boueuse, d’amont en aval, d’aval en amont. A portée de la voix, du rivage à l’esquif, assez familièrement, un colloque s’engage. Mais le comte de Salisbury, devant l’attitude de la foule, y coupe court au nom du roi. Et le canot, son avant déjà viré vers la Tour, accentue vigoureusement sa nage et disparaît au tournant de la boucle du fleuve.

« A Londres, tous à Londres ! » répondent à plein gosier les hommes de la berge, auxquels font écho les bandes compactes de Blackheath. Là-haut, sur la bruyère, ce matin-là peut-être, John Bail venait de prêcher sa fameuse harangue, son fameux prêche niveleur et puritain. Et la foule simpliste avait écouté, comme une hallucination mélodieuse, les cymbales retentissantes de l’exorde et le thème obstiné du réquisitoire :


Whan Adam dalf and Eva span,
Who was thanne a gentilman ?


« Quand Adam bêchait et qu’Eve filait, — Où donc était le gentilhomme ? »

Tous donc, en impatiente colonne, s’ébranlent d’un même élan. Alors, continue le merveilleux Froissart, se mirent-ils en chemin, « et s’avalèrent sur Londres, en fondeflant et abatant manoirs d’avocas et de gens de court,... et disoient que il conquerroient Londres par force et l’arderoient et destruiroient toute. » Ils vocifèrent principalement contre le chancelier et le