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trésorier, dont les conseils, criaient-ils, avaient empêché le roi de mettre pied à terre et d’écouter leurs doléances.

Leurs trois chefs sont à leur tête : Wat Tyler, Jack Straw, John Ball. Qui veut tâcher de comprendre leur domination plébéienne et leur degré de pouvoir, doit essayer de traduire le sens et le timbre de leurs noms. En France, un jour d’émeute ou de massacre, un jour de juillet ou de septembre, on les aurait entendus, l’un après l’autre, appeler lugubrement : Gautier Lecouvreur, Jacques Lapaille et Jean Delaballe. Ainsi faut-il interpréter, dans leur portée naturelle et sonore, les vocables expressifs qui les désignent au peuple, en avant de la multitude combative qui se rue vers la richesse et l’attirance de la grande ville.

Le pont de la Tamise était devant eux. Ils poussent vers la barbacane qu’ils n’ont même pas à forcer. Un alderman révolutionnaire se tenait là, pour saluer et piloter leur avant-garde. Ils défilèrent bruyamment sur les arches, alors garnies de maisons comme une rue. A l’entrée de la Cité, sur l’autre bord, Old Fish Street les accueillit, et le quartier des tavernes, où la Sirène et la Hure, bien avant Pistol et Falstaff légendaire, balançaient déjà leurs alléchantes et criardes enseignes. Et la frairie commença.

L’avant-garde des Communes d’Essex, dans la nuit même, avait fait irruption par la porte d’Aldgate, au bout de la route de Mile End. Un alderman complice l’avait ouverte et livrée, dans le même style que le pont.

Midi surplombait Londres. Le soleil de juin, la buée lourde qui montait des vases du fleuve, les caves, peureusement ouvertes par les bourgeois effarés, tout imposait aux assaillans la grand’halte et la franche repue. On s’engouffra dans les maisons bien fournies, dans les boutiques nourrissantes et les celliers confortables. On but et mangea comme il sied. Mais, la boisson cuvée, il fallut au populaire, et d’une manière prompte, un prétexte nouveau d’action violente et de brutale dépense de force.

La résidence du duc de Lancastre, oncle du roi, personnage exécré du peuple, était voisine de la Cité. Un quart de mille à peine, au delà de l’enclos du Temple, la séparait du rempart. Demeure élégante et somptueuse, entourée de vergers et de haies vives, elle se développait entre le Strand et la Tamise. On l’appelait Savoy Place, ou même « le Savoy, » à cause du prince étranger, oncle de la reine Aliénor de Provence, femme