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de Henry III, qui jadis l’avait construite et aménagée en rase et libre campagne. Un quartier de Londres, en plein cœur actuel de la ville, en porte encore ostensiblement le nom.

Vers trois ou quatre heures, un mot d’ordre passa. Un cri subit et furieux courut les tavernes poisseuses, les allées et les cours étouffantes, les rues et les places noires de monde : « Au Savoy ! » Et le gros de la cohue, par Ludgate et Fleet Bridge, se lança vers le bel édifice, tout regorgeant d’objets de prix, d’orfèvrerie, de pièces rares et de trésors. Le sac du Savoy fut immédiat, méthodique et total. Martelés et tordus, de précieux et lamentables débris, bons pour la fonte et le monnayage, remplirent et bondèrent cinq camions. La foule ne pillait pas. Elle détruisait pour détruire, avec défense de larcin. L’entreprise politique, teintée de mysticisme, s’affirmait mieux ainsi.

Quand il ne resta plus que les murs, les planchers et le toit, on flamba le bâtiment. Un des vêtemens du duc, une « jakke » très ornée, avait été mise à part. Pendant l’incendie, accrochée au bout d’une lance, la jakke princière est criblée, au commandement, de perçantes volées de flèches. Une trentaine de buveurs s’étaient enivrés dans les caves. Ils se réveillèrent enfouis sous les décombres en feu. On les entendit longtemps pousser des cris d’appel. Puis le silence se fit sur leur tombe.

Une autre bande, sur le chemin du Savoy, saccageait le Temple, domaine du trésorier du royaume et pépinière détestée de gens de loi. Saccagées aussi, comme le Temple, les forges toutes proches qui travaillaient le fer, au bord de la route campagnarde où se dressent aujourd’hui les maisons de Fleet Street. Rompues et ouvertes, dans l’intérieur de la cité, les prisons de Newgate. Vers le soir, au Nord-Ouest de la ville, brûlaient fumeusement tous les établissemens d’alentour, appartenant à l’ordre de l’Hôpital, avec le manoir de Clerkenwell, résidence personnelle du trésorier Robert Hales.

À la nuit, les Communes, Wat Tyler de plus en plus dominant, s’installèrent devant les remparts de la Tour, assiégeant en fait le gouvernement désemparé et la faible garnison de la forteresse. Dans le conseil royal, un plan audacieux fut un moment discuté. Le lord maire et sa majorité le préconisaient fort. Il s’agissait, après minuit, de faire masse de toutes les forces disponibles du parti de l’ordre, et d’assaillir brusquement les révolutionnaires abîmés de fatigue, de ripaille et de sommeil.