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histoire des Newcomes ; mais, jusque dans cette histoire, les deux figures du mari et surtout du fils de Mme de Florac sont expressément des « grotesques, » et où il n’est pas douteux que l’auteur, cependant, ait voulu incarner l’idée la moins défavorable qu’il réussissait à se faire du caractère français. Bruyant et familier, « bon garçon » si l’on veut, mais fâcheusement dépourvu de la plupart des scrupules qu’on attendrait d’un personnage de sa condition : tel nous apparaît le jeune vicomte de Florac, évidemment conçu comme un « type » symbolique de ce que peut produire de meilleur notre aristocratie française.

L’erreur des critiques anglais sur ce point ne saurait s’expliquer, me semble-t-il, que par la confusion qu’ils commettent entre deux élémens très différens de l’esprit de Thackeray : sa connaissance de la vie française et l’opinion que cette vie lui a toujours inspirée. Que l’auteur du Livre d’Esquisses Parisiennes, ayant très longtemps demeuré à Paris, se soit mis au courant de notre littérature, et peut-être aussi de la partie extérieure, superficielle, de nos mœurs nationales, beaucoup plus que l’ordinaire des écrivains de son pays, cela est absolument incontestable. Mais à son observation de ces choses françaises Thackeray a appliqué, de tout temps, la même prévention qui de son long séjour à Rome ne lui a permis d’emporter, à l’égard de la religion catholique, « d’autres émotions qu’un mélange de honte et de vraie souffrance. » Et que si, aujourd’hui encore, ses lecteurs anglais ne sentent pas ce qu’ont pour nous d’humiliant des portraits comme ceux qu’il leur a laissés du vicomte de Florac ou du baron de la Motte, la cause en est peut-être à ce que, malgré leur sincère et croissante sympathie envers nous, involontairement ils ont encore les yeux remplis de l’immense série de caricatures qui, pendant deux siècles, leur ont été présentées comme les plus authentiques portraits de la race des « mangeurs de grenouilles, » des soldats de Fontenoy et du camp de Boulogne.


Après quoi, j’ai hâte d’ajouter que, pour regrettable qu’ait pu nous apparaître l’humeur dédaigneuse de Thackeray à notre égard, ce n’est pourtant pas ce sentiment qui, lui non plus, nous a empêchés d’apprécier l’éminente valeur littéraire d’œuvres comme Pendennis ou Barry Lindon, où les opinions de l’auteur sur notre nature française ne tiennent qu’une place tout à fait accessoire. Le véritable motif de cette indifférence du public français pour les ouvrages de l’un des plus grands conteurs et psychologues de tous les temps doit être cherché