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éprouvé à l’égard des Français un sentiment quelque peu analogue ; et là-dessus je serais tout disposé à me croire en faute si mon affirmation de ce sentiment de l’écrivain anglais n’avait pas été, simplement, la conclusion évidente que j’avais vue ressortir de certains faits positifs, notés ici par moi à l’occasion de la récente exhumation d’une série de « chroniques parisiennes » de Thackeray, — chroniques où déjà, décrivant à ses compatriotes divers aspects de notre vie française, il ne laissait pas de se montrer animé contre nous de l’antipathie la plus manifeste. Voici d’ailleurs, en deux mots, de quoi il s’agissait.

Vers la fin de l’année 1863, Thackeray avait commencé un nouveau roman, Denis Duval, que sa mort subite avait interrompu ; et les éditeurs de ce roman inachevé avaient trouvé bon d’y adjoindre, en appendice, une copie des documens historiques qui avaient servi à sa rédaction. Or, ces documens racontaient l’existence aventureuse de deux personnages du XVIIIe siècle, un gentilhomme français et un brigand anglais : le premier ardent catholique, mais aussi patriote admirablement intrépide et loyal ; le second, un vulgaire coquin, avec cela zélé protestant. Sur quoi Thackeray avait, dans son roman, conservé au brigand son vrai caractère historique, mais en faisant de lui un « papiste » effréné ; et quant au gentilhomme français, le baron de la Motte, de ce héros sans reproche le romancier de Denis Duval avait imaginé de faire un ignoble gredin, unissant à la ferveur de son catholicisme la pratique assidue de toutes les formes les plus répugnantes de l’hypocrisie et de la cruauté. Il y avait même, dans un tel travestissement du rôle et du caractère historiques de notre compatriote, quelque chose d’étrangement audacieux, pour ne pas dire d’indélicat : car sans doute Thackeray, lui, n’avait pas l’intention de nous révéler la série authentique de ces pièces anciennes, dont il aurait simplement prétendu avoir tiré le fond de son roman. Ou plutôt sa conduite pouvait bien s’excuser, mais à la seule condition d’admettre chez lui, en regard du sentiment que lui-même reconnaissait avoir toujours éprouvé à l’endroit des catholiques, une égale impossibilité foncière de croire à la « parfaite bonne foi » d’un patriote français.

Au reste, toute l’œuvre du grand romancier m’offrirait une foule d’autres preuves, et non moins péremptoires, à l’appui d’une thèse dont je m’étonne que l’on puisse songer sérieusement à la contester. On allègue bien, contre elle, le rôle sympathique attribué par Thackeray à une vieille dame française, Mme de Florac, dans son