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accueillirent ses rêves aussi doucement que les fleurs et les herbes du pré à Bouju avaient reçu son corps.

L’Anjou, la Touraine, le Vendômois sont des pays sans arêtes vives qui ne s’imposent pas comme l’ardente et fine Provence, comme la grise et dure Bretagne. Mais leur nature variée fournit au poète et à l’humaniste les élémens essentiels dont il a besoin : des forêts, des grottes, des collines, des vignobles, des prairies, des fontaines. Elle est flexible, harmonieuse, nuancée. Elle se prête à tous les jeux de l’intelligence et de la fantaisie. L’homme la domine. Elle est pour lui comme une riche et calme épouse qui lui donne des songes clairs. Il ne la quitte pas volontiers ; il n’aime à voyager que par l’esprit et sous ses ombrages. Rappelez-vous à Rome la nostalgie de Joachim du Bellay. Plus de trois cents ans après lui, vous en retrouverez l’écho dans une page où un grand écrivain des mêmes régions de la France, Jules Lemaître, nous conte avec tant d’esprit ses mésaventures de voyageur et comme quoi l’exotisme n’est point du tout son fait. Il était en Algérie ; il se déplaça « notablement » pour aller voir le paysage de Boghari dont il avait lu et admiré la description dans Fromentin. Il en revint sans illusion. « Il y a quelque part, dit-il, un grand verger qui descend vers un ruisseau bordé de saules et de peupliers. C’est pour moi le plus beau paysage du monde, car je l’aime et il me connaît[1]. » Ainsi Ronsard, au retour de ses voyages, plus épris de son terroir vendômois, s’écriait :


Bref, quelque part que j’erre,
Tant le ciel m’y soit doux,
Ce petit coin de terre
Me rira par sus tous.


Il avait voyagé. A l’âge où nos enfans apprennent encore leurs rudimens, il parcourait la France et une partie de l’Europe, dans des conditions qui nous paraissent aujourd’hui les plus extraordinaires. Il n’avait que onze ans ; il rêvait la gloire des armes. Son père l’emmène à la Cour. Elle se tenait alors sur les bords du Rhône où la France en armes se préparait à repousser Charles-Quint. Il entre en qualité de page dans la maison du Dauphin François. Quelques jours plus tard, le

  1. Les Contemporains, t. IV, p. 298.