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avec ses pilastres ornés de grotesques et son linteau où quarante médaillons contenaient les armes des familles alliées. « Au-dessus s’étageaient des ronces dans les flammes (Ronce-Ard), la devise Non fallunt futura merentem, encadrée par l’écusson des Ronsard, enfin un large bandeau semé de fleurs de lys et timbré de Técu de France[1]. » Des devises qu’on peut encore lire étaient gravées dans les pierres du château ; les unes chrétiennes, Domine conserva me ; les autres d’un paganisme qui respirait l’Italie, Voluptati et Gratiis ; d’autres dont la familiarité brusque a quelque chose de bien gaulois, Avant partir. L’enfant y épelait comme les épigraphes de ses poésies futures. On se demande pourquoi les archéologues se sont tant évertués sur le sens de cet Avant partir. M. Laumonier a raison d’y voir l’idée si ronsardienne qu’il faut vivre joyeusement avant l’inéluctable départ. C’est la philosophie du coup de l’étrier. Dans ce château, où se rencontrent l’âme du Moyen Age et l’esprit de la Renaissance, représentez-vous l’enfant précoce lisant le Roman de la Rose et les vers de Clément Marot.

Autour du château, il avait, pour s’ébattre, de grasses prairies, des coteaux et des bois. Binet nous raconte que, le jour de sa naissance, comme on le portait baptiser en l’église du village de Couture, celle qui le portait, traversant un pré, le laissa tomber par mégarde sur l’herbe et sur les fleurs qui le reçurent « plus doucement. » Et il ajoute « qu’une demoiselle qui portait un vaisseau plein d’eau de roses, pensant aider à recueillir l’enfant, lui renversa sur le chef une partie de l’eau de senteur, qui fut un présage des bonnes odeurs dont il devait remplir toute la France. » Bayle se moque assez lourdement de ce qu’il appelle ces traits d’esprit. Mais, sauf le présage dont l’idée ne vint sans doute à personne, je ne vois rien que de vraisemblable en ce gracieux incident. Il paraît que les habitans de Couture indiquent encore le pré à Bouju comme l’endroit de la chute. D’ailleurs, les Anciens, qui n’étaient pas plus dupes que nous des fables dont se couronne le berceau des poètes, y respectaient les symboles ingénieux de la vérité. Et ici la vérité, c’est que les tranquilles paysages du jardin de la France furent très hospitaliers à l’enfant qui devait les célébrer un jour, et qu’ils

  1. H. Longnon, Essai sur Pierre de Ronsard, Appendice.