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chefs catholiques et les chefs protestans, réunis dans la ville impériale de Haguenau, se flattaient d’aboutir à une conciliation. L’adolescent fut donc mêlé aux discussions théologiques et politiques, et plus encore aux entretiens littéraires, car Lazare de Baïf était une des lumières du siècle, et sa maison s’ouvrait à tous les humanistes allemands. Ce fut son dernier voyage[1]. Il n’avait pas seize ans.

De ces cinq années de courses et d’aventures, que retira-t-il ? La connaissance très superficielle de l’anglais et de l’allemand qui ne lui servit à rien, et une santé délabrée, une sorte d’empoisonnement général, dont il sortit avec un tempérament désormais fiévreux et une oreille un peu dure. Il est vrai que cette demi-surdité, en l’éloignant de la Cour et de la diplomatie, l’attacha d’un plus constant amour au métier des Muses. Mais ses deux séjours en Ecosse, son passage dans les cités flamandes, ses journées de route à travers l’Angleterre « du sombre et voluptueux Henri VIII, » les spectacles affreux ou magnifiques ou simplement pittoresques qui remplirent ses yeux d’enfant et d’adolescent ont-ils marqué sur son œuvre comme l’Espagne entrevue sur l’œuvre de Hugo ? Je n’en relève que des traces insignifiantes. Les rares souvenirs qu’il semble en avoir gardés n’ont sous sa plume qu’une importance de détails biographiques. Quand il écrira d’adorables poèmes dédiés à Marie Stuart, ses invocations à l’Ecosse ne réveilleront en lui aucune image de cette île, où pourtant il a « usé trois ans de son enfance. » Il maudira le grand Prince Neptune qui, d’un coup de son trident, fit des îles. Il souhaitera qu’un dieu, le plus grand de la troupe de ceux qui sont au ciel, épuise toute l’eau de la mer :


Lors à pied sec j’irais
Du rivage français au rivage écossais,
Et marchant sûrement sur les blondes arènes,
Sans être épouvanté des hideuses baleines,
Je verrais les beaux yeux de ce gentil soleil...


Ne jurerait-on pas que ce terrien n’a jamais mis le pied sur un bateau ? La longue pièce que, dans le Bocage Royal, il

  1. Il faut renoncer au voyage en Piémont que mentionne Binet. M. Laumonier a prouvé que Ronsard n’a jamais franchi les Alpes. Il n’a point connu l’Italie. Il a eu plus tard, à un certain moment, le désir de la connaître. Mais il n’est pas parti.