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à opposer aux siennes, mais parce qu’en essayant de coordonner les inspirations d’un poète selon les lois de la logique, nos conjectures, dès qu’elles ne se fondent plus sur des faits historiques, risquent souvent de s’écarter d’une vérité, d’ailleurs insaisissable. Toujours est-il que nous devons à sa patience, à son industrie, à son amour de l’exactitude, une étude où l’œuvre de Ronsard se meut, se développe, marche sous nos yeux, et où la figure même du poète s’anime et se colore.

Au moment où il allait débuter, Marot venait de mourir. Princes et princesses répétaient et fredonnaient ses vers. Il avait été le grand poète d’une Cour qui ne savait pas encore ce qu’était la grande poésie ; mais il avait failli l’atteindre, ou, pour mieux dire, il en avait indiqué la voie. Nous ne lisons plus guère ses Cinquante Psaumes de David traduits en rytme françoise, selon la vérité hébraïque ; nous leur préférons ses épîtres, ses madrigaux, ses épigrammes, ses chansons, ses riens exquis où, au gentil soleil de la Renaissance, l’esprit gaulois devient l’esprit français. Cependant les Psaumes sont mieux qu’un balbutiement, le premier de notre poésie lyrique moderne. La fidélité de la traduction, qui, au moins en vers, n’a jamais été égalée, attestait l’habileté de l’artiste et prouvait que le « couplet » de la chanson française était capable d’exprimer les idées et les sentimens les plus graves. D’autre part, Marot y avait créé des rythmes et des combinaisons de strophes régulières qui servaient déjà d’exemple à tous nos versificateurs. Évidemment il forçait sa nature ; et le roi David, costumé à la française, faisait un peu l’effet d’avoir lâché la harpe pour les pipeaux. Mais de ce lyrisme laborieux se dégageaient des strophes énergiques et belles. On en fut ravi et comme entêté. Avant qu’on eût misées psaumes en musique pour être chantés au prêche, chacun des princes et des courtisans adopta le sien et lui donna « tel air que bon lui semblait, » ordinairement un air de vaudeville. La reine avait choisi : Ne veuillez pas, ô Sire, et le chantait sur un air du chant des Bouffons ; Mme de Valentinois : Du fond de ma pensée, et le chantait en volte ; le roi de Navarre, Antoine : Revange moi, prends la querelle, qu’il chantait en branle du Poitou ; et Henri II : Ainsi qu’on oit le cerf bruire, qu’il chantait à la chasse[1].

  1. Voyez, dans le Dictionnaire de Bayle, l’article sur Marot.