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et aussi, je le crois, avec une intelligence singulièrement avertie. Les terribles infidélités de la fortune, dont il avait été le spectateur, lui avaient ouvert les yeux sur le peu que nous sommes, — Ce n’est rien que des rois ! — sans d’ailleurs le désenchanter de la gloire et des intérêts puissans qui mènent le monde. Il en avait reçu une de ces fortes éducations dont on ne se rend pas compte soi-même, mais dont on garde à jamais le sens des réalités. Aucun de nos poètes lyriques ne me donne, sous l’emportement de sa fantaisie, une pareille impression de sagesse. Ce n’est point un moraliste, et pourtant je le sens très près de Montaigne. Il connaît les hommes. Il ne s’appesantit pas sur leurs travers ni sur leurs vices, car le poète est avant tout « le sonneur et le courrier des louanges ; » mais son œuvre a poussé sur un fonds solide d’expérience humaine, et l’atmosphère où elle s’épanouit n’est troublée par d’autres vapeurs que celles de l’encens.

Le bénéfice moral de ses voyages est donc fort appréciable, si, comme on peut le croire, ils le mirent en état de supporter une ivresse d’érudition telle qu’un esprit moins bien trempé y eût noyé ses qualités les plus originales. Remarquez aussi qu’il n’a voyagé que dans les pays du Nord où la civilisation était très inférieure à celle de la France, et qu’il y a sûrement pris une conscience plus claire de l’honneur du nom français. Quand, obligé par son infirmité de renoncer aux charges de la Cour et de changer d’ambition, il se tournera décidément vers la poésie, il apportera à l’étude des lettres antiques une âme déjà formée, déjà savoureuse, qu’elles orneront plus qu’elles n’auront à la mûrir.


II

Dans la première partie de son livre, M. Laumonier s’est proposé de retracer l’évolution de l’œuvre lyrique de Ronsard. « Tâche laborieuse, mais non pas inglorieuse ! » disait Brunetière qui se tenait au courant de ses travaux. En effet, tous les remaniemens que le poète a fait subir à ses vers en compliquent la bibliographie et rendent fort malaisé d’en débrouiller la succession chronologique. Il me semble que M. Laumonier a réussi, autant qu’on peut le souhaiter, dans des recherches aussi délicates. Il ne m’a pas toujours convaincu, non que, sur les points de détail qui me restent obscurs, j’aie de bonnes raisons