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Le cœur d’impatience atteint :
Noir je veux l’œil et brun le teint.
Bien que l’œil vert le Français tant adore !


Marot recommandait de la prendre « de belle grandeur » et « en son esprit non endormie ; » mais Ronsard désirerait :


Qu’el’ sût par cœur tout cela qu’a chanté
Pétrarque en amours tant vanté
Ou la Rose par Meun décrite...


Ce qui n’était chez Marot que le fredon léger d’un aimable compagnon qui s’éloigne le chapeau sur l’oreille et une fleur entre les dents, devenait avec Ronsard une sorte d’incantation voluptueuse. L’image que son désir appelait se précisait sous les caresses de sa parole. La maîtresse rêvée aurait la taille droite, la gorge pleine, la jambe longue et grêle, une oreille qui se montre toute hors de la coiffe, et les cheveux tors. Sa bouche imiterait la rose « au lent soleil de mai déclose. » Sa joue serait pareille à l’aurore ; et toutes les fleurs de la Sabée égaleraient à peine son haleine odorante. « On dirait du Jean Lemaire, du Marot ou du Saint-Gelais ! » s’écrie M. Laumonier. Non, c’est autre chose. Ce n’est même pas de l’Horace. C’est du Ronsard, un Ronsard qui s’inspire et d’Horace et encore de Marot, mais en qui bouillonne une plénitude de poésie capable de les absorber tous les deux.

Ce jeune homme de vingt-trois ans a-t-il conscience de son génie ? Il est modeste ; il avoue qu’il façonne à grand’peine « des vers qui sont de peu de prix. » Il ne se croit né ni pour l’épopée ni pour les odes héroïques. Mais il éprouve de plus en plus le besoin de s’instruire, de se perfectionner dans son art. Il aspire à une retraite studieuse qui sera comme une longue veillée d’armes. On sait comment il la trouva près de Daurat[1], le divin Daurat, réveil de la science morte, artisan des Muses, oracle des Dieux, Daurat « au nom doré » qui fut cinq ans son maître et, toute sa vie, l’objet de sa gratitude et de son culte. La constance que mit Ronsard à proclamer sa dette est l’indice d’une riche nature. Qu’était donc ce Daurat ? Un savant helléniste

  1. Pour tout ce qui concerne le Collège de Coqueret et la formation de la Brigade, je ne saurais trop recommander la lecture du livre de M. Chamard et des deux chapitres si pittoresques où M. Longnon a vraiment fait revivre cette petite société.