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et, M. Longnon ose le dire, un barbare. Il présentait pour la première fois à la France Homère, Hésiode, Pindare, Eschyle, Aristophane ; il se faisait même leur disciple et leur continuateur, puisqu’il composait des vers grecs. Mais sa science de philologue ne lui avait pas donné le sens critique. « Aux yeux de ses élèves aveuglés par la piété, tout fut richesses dans la littérature grecque. D’Homère à Lycophron, la distance est énorme : ce fut pour Daurat et ses disciples un jeu de la franchir, ou plutôt ils ne s’aperçurent même pas qu’il y avait un abîme. Dans leur désir confus d’une poésie savante, leur goût alla naturellement aux plus profonds, puis aux plus obscurs des poètes grecs... Bientôt ils en vinrent à « juger de la valeur des œuvres par la peine qu’ils s’étaient donnée pour les posséder[1]. »

L’enthousiasme qui saisit Ronsard fut tel que ses vers en brûlent encore. L’antiquité reculait et s’élargissait. Derrière les Latins qu’il avait considérés comme des maîtres, il voyait enfin surgir les maîtres des Latins. Il sortait du monde des reflets. « Le jour où Daurat lui lut le Prométhée d’Eschyle : Eh quoi, mon maître, s’écria-t-il, m’avez-vous caché si longtemps toutes ces richesses ? » Jamais jeunesse plus généreuse ne se jeta d’un plus bel élan à la conquête du Beau. Malheureusement Daurat était incapable de prévenir les excès où son orgueil l’emporta. M. Laumonier n’a pas prétendu l’en disculper ; mais sa thèse a définitivement circonscrit, en l’espace de quelques années, les erreurs qui pesèrent si longtemps sur sa mémoire. Il fut injuste comme le sont tous les jeunes gens d’un cénacle, enivrés de leur savoir et d’eux-mêmes. « La modestie de ses premières années fit place à une outrecuidance inouïe. » Ses devanciers ne sont plus à ses yeux que des ignorans ; leurs vers, une prose insipide. « L’imitation des nôtres m’est tant odieuse, s’écriera-t-il, que, pour cette raison, je me suis éloigné d’eux, prenant style à part, sens à part, œuvre à part, ne désirant avoir rien de commun avec une si monstrueuse erreur. » Marot avait du talent ; mais que voulez-vous ? il manquait d’érudition. Il n’avait pas lu Pindare. Et Ronsard lui dira son fait dès sa première ode pindarique sur La Victoire de François de Bourbon à Cerizoles, qui débutait ainsi :

  1. Henri Longnon, Essai sur Ronsard.