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En 1556, dans l’élégie-préface A Chretophle de Choiseul, qu’il publiait en tête des Odes d’Anacréon traduites par Rémi Belleau, il insistait sur le charme « d’un doux style » et défendait, avec une verve brillante, sa nouvelle manière :


Mais ce n’est pas le tout que d’ouvrir le bec grand,
Il faut garder le ton dont la grâce dépend,
Ni trop haut, ni trop bas, selon notre nature...


Et, entraîné par la fougue du moment, il s’écriait :


Me loue qui voudra les replis recourbés
Des torrens de Pindare en profond embourbés,
Obscurs, rudes, fâcheux, et ses chansons connues
Que je ne sais comment par songes et par nues :
Anacréon me plaît, le doux Anacréon !


Il a renoncé à Pindare. Mais faut-il voir dans ces vers autre chose qu’une boutade de poète ? A-t-il changé d’opinion sur le grand lyrique ? « Rapportait-il de cette lutte disproportionnée une sorte de courbature dont il gardait rancune ? » C’est ce qu’a dit M. Faguet et ce que pense M. Laumonier. J’en doute. Pourquoi en eût-il voulu à Pindare ? Il lui devait les plus fiers combats et les plus beaux triomphes de sa jeunesse. Ses contemporains avaient été transportés d’admiration par ses odes audacieuses et surtout par son Ode à Michel de l’Hôpital. Lui qui hésite si peu à supprimer des pièces entières ou à les mutiler que ses vers retranchés remplissent plus de quatre cents pages, il les a toujours maintenues, dans ses éditions complètes, à leur place d’honneur. Il a voulu qu’on entrât dans son œuvre par cette porte triomphale. Il ne prévoyait pas qu’on en accablerait sa mémoire. Du reste l’erreur qu’il avait commise, et dont il était revenu, n’avait pas plus gâté ses odes pindariques que ses sonnets à Cassandre. S’il abandonne ces hautes régions du lyrisme, ce n’est point que l’air lui ait manqué et qu’il ne se plaise désormais qu’à mi-côte. Mais il songe continuellement à se renouveler. Ronsard est aussi changeant en poésie qu’en amour, ou plutôt, comme il désirerait aimer toutes les femmes, il aspire à traiter tous les genres. Il est sans cesse altéré de nouveauté. Ecoutez-le dans son Hymne De la mort :