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Je m’en vais découvrir quelque source sacrée
D’un ruisseau non touché qui murmurant s’enfuit
Dedans un beau verger loin de gens et de bruit...
Je boirai tout mon soûl de cette onde pucelle,
Et puis je chanterai quelque chanson nouvelle
Dont les accords seront peut-être si très doux
Que les siècles voudront les redire après nous.


Chanter quelque chanson nouvelle, c’est là son éternelle ambition. M. Laumonier, en restreignant son sujet à la poésie proprement lyrique de Ronsard, n’a fait que nous indiquer, d’un trait rapide, ce côté passionnant de son génie. Ronsard a quitté Pindare, mais il va suivre Homère. Et même, a-t-il quitté Pindare ? Ne l’emporte-t-il pas avec lui dans ses Hymnes, dans ses Poèmes et jusque dans sa Franciade ? Quelle lassitude trahit-il ou quelle rancune ?

Le découragement qui, de temps en temps, perce sous ses vers, les plaintes qu’il laisse échapper, ne viennent point de la désillusion d’un artiste qui s’est senti trop inégal à son rêve. La cause en est dans sa vie même et dans sa pauvreté. Dès 1555, tous ses efforts ont tendu à se faire reconnaître et consacrer comme le poète officiel de la Cour de France. Il fallait être d’abord un poète courtisan. Un Ronsard n’entre pas sans gêne dans ce difficile emploi que tenait avec aisance un Mellin de Saint-Gelais, et dont Joachim du Bellay s’est si agréablement moqué. Le voilà donc condamné « à solliciter les puissans ou ceux qui les approchent, depuis le Roi et sa favorite jusqu’aux trésoriers de l’épargne. » Une ambition lucrative s’est allumée dans son cœur :


Je conçus évêchés, prieurés, abbayes...


La simple lyre ne lui suffit plus : il la veut crossée. Mais ce quémandeur se gourmande lui-même de quémander. M. Laumonier nous dira qu’il y met « un mélange d’impudence forcée qui nous choque et de honte sincère qui nous désarme. » Je suis surtout ému par la familiarité brusque et par l’air de hauteur qu’il garde en tendant la main. Il s’écriera en s’adressant au cardinal de Châtillon :


Lors, j’appris le chemin d’aller souvent au Louvre ;
Contre mon naturel j’appris de me trouver
Et à votre coucher et à votre lever,
A me tenir debout dessus la terre dure,
A suivre vos talons, à forcer ma nature...