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argile. » Il tient à nous convaincre que « peu de personnes ont commandement sur lui » et qu’il n’obéit qu’à son bon plaisir. Mais il est toujours attentif au jugement de ses amis, « ne jurant en l’amour de soi-même ni en l’opiniâtreté de ses inventions. » Et derrière ses amis, derrière les doctes lecteurs, « bien versés en la poésie » dont il se déclare prêt à recevoir « toute amiable correction, » il y a la Cour, les femmes, les inconnus, un public qui ne lit pas les préfaces, mais qui chante les vers, un public qu’il voudrait innombrable et qu’il cherche à conquérir et à séduire par la variété de son inspiration et par l’imprévu de ses métamorphoses. Il affecte bruyamment d’en mépriser la faveur, ce qui est toujours une façon de la solliciter et souvent un moyen de l’obtenir. Mais c’est pour ce public qu’il travaille ; c’est pour lui qu’il passe si aisément de la poésie mystérieuse, dont les énigmes attirent et dont le bruit se propage, à la poésie simple et claire qui retient les cœurs et même à la poésie licencieuse qui amusera « les filles et les pages. » Il a passionnément aimé la vie et passionnément aimé la gloire.


O belle et douce gloire hôtesse d’un bon cœur !


Ces deux amours et son heureuse nature le rendaient flexible à toutes les influences et capable aussi de les dominer. Il nous reste à voir comment en effet il les domina, et comment dans cette œuvre ondoyante et d’apparence si mêlée, où il a capté tant de courans étrangers, il nous a laissé de notre race, de son siècle et de lui-même une image qui ne tremble pas.


ANDRE BELLESSORT.