Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même dévouement qu’à ses enfans. Le P. Cordier raconte qu’ayant eu un laquais atteint de la peste, elle cacha la nature de son mal, éloigna de lui toutes les personnes de la maison et le soigna si bien à elle toute seule qu’elle le guérit. Comme Mlle de Neuvillars, elle ne manquait jamais d’entretenir ses servantes, quand elles l’habillaient, de quelque sujet d’édification. Les jours de fêtes, elle était suivie à la sainte table par ses domestiques des deux sexes aussi bien que par ses enfans, et l’une de ses femmes de chambre, Andrée Levoix, entra, comme elle, au Carmel. S’il faut en croire un de ses modernes historiens, le spectacle d’une maison si saintement réglée aurait exercé une influence salutaire sur celles où fréquentait Mme Acarie et qui appartenaient à l’élite de la société et le niveau de la domesticité en aurait été relevé.

Beaucoup de contemporaines de Mlle de Neuvillars et de M me Acarie, sans avoir leurs éminentes vertus, par leurs exemples, par leur autorité, par une sollicitude également attentive aux besoins du corps et de l’âme, imposaient à ceux et à celles qui les servaient une discipline pénétrée de bonne volonté et de dévouement. Les maîtres s’occupaient de l’avenir de leurs serviteurs, ils les plaçaient en apprentissage, ils leur procuraient un emploi, ils les mariaient. Ils en prenaient même l’engagement en les arrêtant. Quand Casaubon, ci-devant laquais de messire Elisée d’Illiers, entre en apprentissage, c’est au château de celui-ci et en sa présence que le brevet notarié en est passé et c’est lui qui en paye le prix.

Cette prévision d’un avenir différent de la domesticité n’est pas seulement digne de remarque par l’idée qu’elle nous donne du patronage des maîtres, mais aussi parce qu’elle indique que la domesticité était moins qu’on ne le croit une carrière où l’on vieillissait, où l’on finissait ses jours. On n’y entrait pas avec la pensée d’y rester toujours, on rêvait un établissement plus compatible avec l’indépendance. On l’adoptait avec l’espoir d’y obtenir une protection qui permettrait d’arriver à une condition où l’on se flattait de ne dépendre que de soi, comme un moyen de faire des économies pour réaliser cet espoir. Telles ces paysannes d’Auvergne qui n’allaient servir à la ville que juste le temps nécessaire pour gagner une petite dot. On ne s’y donnait pas tout entier, on réservait une partie de son temps pour faire autre chose. Un compagnon tailleur, qui s’était