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s’impose dans la répartition des forces au cours même d’une campagne.

Quant à l’opinion extrême qui prétendrait enlever au général commandant en chef un groupe d’armées ou une armée la conduite des opérations militaires et faire diriger de loin ces opérations par le gouvernement ou ses conseillers, elle n’est pas défendable. Cela ne veut pas dire qu’elle ne l’emportera pas, malgré son absurdité même, car, assez récemment encore, on a vu l’ingérence malheureuse et maladroite du gouvernement dans les expéditions militaires au Maroc et en Afrique. Il est toujours bon de rappeler les hommes à l’observation des principes reconnus justes dans tous les temps et que Bonaparte exprimait si nettement dans sa lettre au Directoire du 25 floréal an IV : « Il faut pour cela non seulement un général, mais encore que rien ne le gêne dans sa marche et ses opérations. J’ai fait la campagne sans consulter personne ; je n’eusse rien fait de bon s’il eût fallu me concilier avec la manière de voir d’un autre. J’ai remporté quelques avantages sur des forces très supérieures et dans un dénuement absolu de tout, parce que, persuadé que votre confiance se reposait sur moi, ma marche a été aussi prompte que ma pensée. Si vous m’imposez des entraves de toute espèce, s’il faut que je réfère de tous mes pas aux commissaires du gouvernement, s’il ont le droit de m’ôter ou de m’envoyer des troupes, s’ils ont le droit de changer mes mouvemens, n’attentez plus rien de bon... Je ne puis rendre à la patrie des services essentiels qu’investi entièrement et absolument de votre confiance. »

Chaque commandant en chef doit être absolument libre de conduire les opérations militaires ; les membres du gouvernement eux-mêmes le pensent. Auront-ils toujours le sang-froid nécessaire pour ne pas s’immiscer dans l’exécution ? Nous ne pouvons à cet égard avoir que des espérances, non des certitudes. N’avons-nous pas vu récemment la funeste influence du pouvoir central russe sur les opérations de la guerre de Mandchourie ? N’est-il pas à craindre que les enseignemens de l’histoire ne soient oubliés demain ?

En résumé, on ne saurait refuser au gouvernement une action sur la préparation et la conduite de la guerre dans son ensemble ; mais, dans une démocratie, où il peut se faire qu’aucun nombre du gouvernement n’ait la compétence militaire