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réglait le mouvement des armées, mais il leur inculquait une doctrine nouvelle parfaitement appropriée à la situation politique et militaire, au tempérament national, et, on peut bien le dire aussi, aux vrais principes de la stratégie. C’est lui qui revint à l’idée de tous les grands capitaines, idée méconnue dans les armées du XVIIIe siècle, de l’économie des forces et de l’emploi des masses pour frapper de formidables coups au point décisif. Plus tard, Napoléon appliquera ce même principe avec toute l’ampleur de son vaste génie.

Comme le disait fort bien le général Bonnal dans ses conférences à l’Ecole de Guerre, « la cause principale du revirement des idées sur la guerre qui s’est produit en France, en 1791, doit être attribuée à l’excitation et au développement consécutif des forces morales... On comptait aux armées de la République que le salut de la France résidait uniquement dans l’extermination de ses ennemis. Mort aux tyrans ! devint le cri de guerre de la Nation et alors s’évanouit piteusement la doctrine des positions et des manœuvres dites savantes. » Mais les diverses armées qui opéraient sur un même théâtre étaient restées indépendantes les unes des autres et recevaient directement leurs instructions de Paris. Si les conséquences fâcheuses qui devaient résulter de ce système vicieux furent parfois évitées, c’est que, comme le dit Bonnal, « dans les armées républicaines, généraux, officiers et soldats avaient hautement surpassé leurs adversaires en talens et en vertus militaires, » et il rappelle l’appréciation de Soult sur les armées de cette époque : « Je puis bien le dire, c’est l’époque de ma carrière où j’ai le plus travaillé et où les chefs m’ont paru le plus exigeans. Aussi, quoiqu’ils n’aient pas toujours mérité d’être pris pour modèles, beaucoup d’officiers généraux qui, plus tard, ont pu les surpasser, sont sortis de leur école... Jamais les armées n’ont été plus obéissantes, ni animées de plus d’ardeur ; c’est l’époque des guerres (1794) où il y a eu le plus de vertu parmi les troupes. »

Dès le Consulat, Bonaparte devint le chef des armées, mais il ne le fut pleinement qu’à partir de 1805. Alors tout est dans sa main puissante ; il est à la fois généralissime et amiralissime ; lui seul dirige tout ; il n’accepte aucune aide- ; il donne des ordres qui doivent être ponctuellement exécutés par tous. « Tenez-vous-en strictement aux ordres que je donne, écrit-il... moi seul sais ce que je dois faire. » Une pareille unité de direction