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qui ne saurait s’exprimer en aucune unité compréhensible pour nous, il est cependant bien récent en comparaison de l’antiquité des étapes mentionnées tout à l’heure et que caractérisent, en remontant le cours des temps : la constitution de l’océan, l’épuration de l’atmosphère, la condensation de la croûte primitive. Pour que celles-ci se produisissent et se succédassent, il a fallu que le refroidissement spontané de la planète fît parcourir à la température superficielle des distances thermométriques colossales. Au contraire, depuis que la vie est venue compliquer et compléter les phénomènes géologiques, les conditions extérieures ont singulièrement peu varié, ce qui suppose que le laps écoulé n’a aucun rapport de durée avec les précédens.

De cette dernière conclusion nous sommes bien assurés, car c’est le témoignage des fossiles qui la procure éloquente et formelle. En effet, et contrairement à ce qu’on aurait certainement supposé, la Nature, dans la succession des faunes et des flores, loin de se livrer aux caprices d’une fantaisie sans frein, s’est astreinte à une discipline très étroite. C’est avec surprise qu’on reconnaît les analogies les plus intimes de structure entre les animaux les plus anciens et les bêtes d’à présent. Un exemple sera suffisant à cet égard : il concerne une faune très caractéristique des temps qualifiés de primaires, celle des trilobites. Ces crustacés, loin de révéler un milieu tout différent de celui où nous vivons, se signalent, même à première vue, par leur ressemblance intime avec des êtres marins qui nous sont familiers : les homards, les langoustes, etc. Ils viennent se ranger docilement dans les grandes divisions taxonomiques à l’usage de la faune actuelle. On peut pousser à cet égard la comparaison extrêmement loin, grâce à l’état de conservation parfaite de certains spécimens, comme on en trouve par exemple aux environs d’une petite ville des environs de New-York qui s’appelle Rome. On y voit des trilobites dont les yeux, les pattes, les tégumens, les antennes, les empreintes laissées dans la carapace par certains viscères, sont si délicatement conservés qu’on peut en reconstituer véritablement l’anatomie en même temps que la morphologie. Cette anatomie cadre si exactement avec celle des crustacés de l’époque actuelle, qu’on peut proclamer hardiment sans la moindre imprudence que ces antiques animaux jouissaient de la même physiologie que nos homards et que nos