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les aides du haut commandement, et l’on compte aussi trouver dans l’avenir, parmi eux, quelques-uns de nos commandans en chef préparés à leur difficile mission. Ce cours d’études stratégiques a fonctionné pour la première fois en 1911 ; évidemment, il y eut bien quelques tiraillemens au début ; la doctrine stratégique n’était pas encore bien fixée et ne s’affirmera que peu à peu (il en fut de même à l’Ecole supérieure de guerre pour la doctrine tactique) ; l’état-major de l’armée n’était jusqu’alors ni bien organisé ni bien préparé en vue de devenir un organe d’instruction ; enfin l’École de guerre où l’on eût trouvé d’excellens élémens fut délibérément mise à l’écart. Néanmoins, on peut affirmer que le cours des Hautes Études est de nature à nous donner dans quelques années d’excellens résultats.

Telle était l’organisation du haut commandement jusqu’en cette année 1911.

On peut lui reprocher peut-être de n’avoir pas poussé assez loin, à certains égards, l’imitation de l’organisation allemande. Ainsi la durée des cours à notre École de guerre est de deux années seulement ; l’Académie de guerre d’Allemagne conserve trois années ses élèves. De plus, nos jeunes brevetés, au sortir de l’Ecole, au lieu de continuer leur instruction à l’état-major de l’armée, sont placés immédiatement dans les états-majors des brigades, des divisions et des corps d’armée.

Cependant, les professeurs de notre École de guerre, se reportant aux enseignemens de l’histoire militaire, particulièrement des campagnes napoléoniennes, ont déterminé et fait adopter une doctrine tactique ferme qui ne fut consacrée officiellement qu’en 1895, lors de la publication du décret sur le service des armées en campagne. Jusqu’à cette époque, il y avait une assez grande diversité d’opinions parmi nos officiers généraux qui n’avaient point travaillé en commun.

Il en est résulté qu’au début, la doctrine enseignée à l’École s’est trouvée souvent en opposition avec celle appliquée dans les corps où servaient nos brevetés. Mais les principes de notre règlement ont pénétré, lentement il est vrai, mais jurement, dans les milieux militaires et, s’il reste encore quelques divergences de vues, il ne faut pas s’en exagérer l’importance[1]. On

  1. Il ne faudrait pas entendre, par cette expression de doctrine, que tous les esprits dussent être coulés dans le même moule ; que tout cas concret dût recevoir de tous une unique et même solution. Ce serait une absurdité. La doctrine établit certains principes généraux immuables dont chacun de nous doit être pénétré, par exemple, le principe de l’offensive et celui de l’économie des forces ; puis, elle expose d’autres principes qui, eux, sont soumis à la loi d’évolution et, par conséquent, doivent varier avec les circonstances, entre autres avec les progrès de l’armement. Seulement, la doctrine donne les lois générales de l’évolution tactique qui permettent de ne pas faire fausse route lorsque des changemens s’imposent. Par exemple, l’étude approfondie de l’histoire montre que, plus l’armement se perfectionne, plus l’offensive offre d’avantages ; on peut donc condamner a priori toute théorie qui, fondée sur les propriétés meurtrières d’armes nouvelles, conclurait à la supériorité de la défensive. Une autre loi, bien démontrée par les faits, est que les progrès de l’armement rendent plus difficile chaque jour la prise de contact avec l’adversaire et plus longs les préliminaires de tout engagement ; de cette loi on peut déduire que les organes de contact doivent se modifier. C’est ainsi que les détachemens mixtes (de couverture ou de contact) dont l’emploi eût été une lourde faute il y a moins d’un siècle, deviennent aujourd’hui d’un usage fréquent et de plus en plus justifié.