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eût été plus vite et plus sûrement si l’on avait copié de plus près l’institution prussienne en faisant passer tous les brevetés par le grand état-major de l’armée où ils auraient complété leur instruction. Malgré cela, on se serait encore heurté à une difficulté inhérente à nos institutions, à l’instabilité du chef d’état-major général qui change beaucoup trop souvent pour que l’on puisse réaliser la continuité de vues indispensable à l’établissement d’une doctrine ; celle-ci ne peut se former dès lors que par la tradition. C’est ainsi que la doctrine tactique a été établie à l’École de guerre, c’est ainsi que se formera la doctrine stratégique au Centre des Hautes Études militaires.

Enfin, le chef d’état-major allemand est, comme on l’a vu. le généralissime effectif ; c’est lui qui prépare la guerre, c’est lui qui la conduit sous la haute autorité de son souverain. En France, ni le gouvernement, ni le parlement ne consentiraient à donner une pareille autorité à un officier général ; comme l’a dit le général Goiran, nous n’avons pas de généralissime. D’ailleurs, s’il en existait un, il serait, lui aussi, trop instable pour imprimer une impulsion durable, car, pris parmi les généraux ayant une certaine ancienneté, il n’aurait jamais que peu d’années à remplir ces hautes fonctions avant d’être atteint par l’inexorable limite d’âge.

Cela paraît être tout d’abord une cause d’infériorité militaire pour les États démocratiques ; en fait, il n’en est rien, car la doctrine ne dépend pas alors d’un seul homme qui peut se tromper, elle est le résultat d’une tradition, comme je viens de l’exposer, et la tradition est plus durable que l’œuvre d’un homme.