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établi par le sacerdoce : c’est pourquoi, maintenant encore, dans l’Eglise de Dieu, l’évêque sacre les rois. »

La doctrine de l’origine divine du pouvoir royal ne tarda d’ailleurs pas à pénétrer dans les classes populaires, rompant les efforts contraires de la scolastique ; en sorte que bientôt s’accusa l’opposition entre l’opinion vulgaire et les écrits des théoriciens ; mais la légende, selon l’ingénieuse remarque d’un jeune historien, M. André Lemaire, arrangea tout, — c’en était encore l’âge. « A l’investiture directe par Dieu, moyennant la désignation du peuple, on substitua le choix miraculeux de Dieu lui-même. La souveraineté conférée par la nation, telle est la règle générale, disait-on ; mais en France les rois ont bénéficié d’une faveur insigne du ciel, le miracle de l’onction de Clovis. Ainsi la théorie du droit divin subit une déformation. Prenant pour objet spécial la royauté française, on lui réserve le privilège du droit divin et fonde ce droit d’exception sur un miracle imaginaire. » Cette doctrine, qui s’efforçait de concilier la théorie de la délégation populaire avec le droit divin du monarque français, fut partagée par la majeure partie de nos vieux légistes.

Cette discussion, qui dura tant de siècles, est intéressante pour nous. Les intermédiaires par lesquels, de degré en degré, le pouvoir paternel était monté sur le trône, avaient depuis longtemps disparu, et, pour expliquer l’origine du pouvoir royal, les esprits devaient aller naturellement à l’une des deux hypothèses qui se présentaient à eux : la délégation divine, la délégation populaire. Un seul, parmi les théoriciens de l’ancien temps, a fait entendre une note juste. Elle ne pouvait être donnée que par un historien qui avait étudié les « monumens » de la monarchie. Moreau, historiographe de France, dans son Discours sur la Justice, composé pour le Dauphin, écrit :

« Les premières sociétés furent des familles et la première autorité fut celle des pères sur leurs enfans. Les rois exercèrent sur les nations l’autorité que les pères avaient eue sur les premières familles. »


FRANTZ FUNCK-BRENTANO.