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Hier, avant même d’entrer à Venise, mais en pays déjà vénitien, cheminant par la plaine opulente que la torride saison n’a pu flétrir, mon regard suivait d’arbre en arbre, à l’infini, les guirlandes où mûrissaient les grappes suspendues. Et comme un feston sonore, aussi riche, aussi gonflé de vie, je croyais ouïr se dérouler certain chœur d’Ariane, vraiment dionysiaque et saluant le dieu des vendanges de ses noms les plus éclatans, les plus glorieux.

Enfin un chant de Marcello me paraît aujourd’hui le triomphe, l’apothéose musicale de Venise, tant il surabonde de force, de lumière et de joie : c’est le psaume célèbre I cieli immensi narrano. Le rythme, le mouvement et la mélodie, la robuste et fière attaque, l’ample et riche développement des phrases qui retombent, ruissellent, comme de grands plis sur un fond transparent, tout, en ce chef-d’œuvre, s’accorde avec les « Venises reines » que peignit le Véronèse au plafond du palais ducal. Sur les toiles et dans la musique, avec la même liberté, c’est le même éclat de nacre et d’argent, le même luxe du décor ; l’atmosphère est pareille et semblables sont les cieux. Cieux de la nuit, mais surtout cieux du jour et des après-midi radieux, ce psaume est votre poème. Il est trois heures. Nous sortons de Venise, du côté de l’Orient. Nous allons vers Murano, plus loin encore, vers San Francesco, l’îlot de la solitude. La lagune est déserte. Sur l’onde sans une ride, l’azur sans un nuage étend son pavillon de soie. I cieli immensi narrano... Oui, « les cieux chantent la gloire du Seigneur, » mais c’est la gloire des cieux de Venise qu’a chantée Marcello le Vénitien.


CAMILLE BELLAIGUE.